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\\\\\\\\ Le . monde . des . tarots . anciens
20 janvier 2010

Italie 1400, naissance de la peinture (Elie Faure)

[toutes cartes, et tous jeux anciens concernés]

L'Italie renaissante des années 1430-1450 voit apparaître dans les cours de Milan et Ferrare les plus anciens jeux de tarot peints connus. A mettre en perspective avec l'émergence SIMULTANEE de la peinture dite "moderne" (1426-1430). Le texte ci-dessous tente justement de décrire l'état d'esprit bien particulier de l'entrée en Renaissance, époque de ces tarots Visconti-Sforza d'Italie du Nord. Il est tiré de "L'Histoire de l'Art médiéval" d'Elie Faure (médecin de profession qui a commencé à écrire son "Histoire de l'art" en 1909, sur la base de cours qu'il avait donnés dans une université populaire parisienne).

Elie FAURE :Histoire de l'art médiéval, dernière édition revue par l'auteur : 1926 -
Livre de poche 1964
[extrait pp. 316-321, illustrations choisies par le blog] //////////////////////////////////////

Chapelle des Brancacci, par Masaccio - détail du mur gauche
Masaccio_chapelle_Brancacci

Qu'on le veuille ou non, c'est l'Italie qui a le plus contribué à donner à l'Europe moderne ce qu'on peut appeler l'épine dorsale de son esprit. C'est l'art italien qui a tenté, à tort ou à raison, de dégager l'intelligence du symbole pour incorporer la forme non plus à l'espace conventionnel de la mystique, mais à l'espace figuré de la réalité. Il est mort de cet effort même, c'est entendu, comme meurt tout ce qui fait oeuvre vivante, mais grâce à cet effort il a écrit le poème le plus grandiose, en son ensemble, de la peinture occidentale, et déterminé toute cette peinture qui, avant lui, n'avait pu se résigner à abandonner le vitrail emprisonné dans ses ruisseaux de plomb ou la miniature enfermée entre les pages de son missel.

Retable de l'agneau mystique, par Jan Van Eyck
Agneau_mystique_de_Van_Eyck___retable

Maintenant, quand on parle de la "Renaissance", on chicane volontiers sur la date d'apparition des deux premiers monuments de la vraie peinture moderne, l'Agneau mystique des Van Eyck et la chapelle des Brancacci de Masaccio [cf ci-dessus], oeuvres sensiblement contemporaines, puisque peintes l'une l'autre entre 1426 et 1430. Mais on oublie que Duccio et Giotto étaient morts, à ce moment-là, depuis près d'un siècle, que Cimabue avait débarrassé la forme de ses bandelettes depuis quelques cent cinquante ans, et que, près de deux cent ans auparavant, Giunta de Pise voyait déjà surgir des murs de l'église haute d'Assise, ses anges apocalyptiques. Quant à la peinture à l'huile, procédé merveilleux, il est vrai, pour annexer et subtiliser la lumière, elle était connue en Italie aussi bien qu'en Flandre trois siècles avant les van Eyck. Si les Italiens l'avaient négligée, c'est que leur fresque incorporait mieux aux murailles le style monumental et encore quelque peu abstrait qui exprimait leur vie spirituelle à ce moment-là.

sujet central du retable de l'Agneau mystique

Agneau_mystique_de_Van_Eyck__sujet_central

Je persiste donc à croire que l'architecture indiquant plutôt les directions essentielles des sociétés enfoncées dans le mythe pour fondre dans un seul creuset les conquêtes morales nécessaires à tous, l'apparition de la peinture en Italie est le phénomène le plus important de l'histoire de l'Europe entre les XIIe et XVIe siècles.  Elle prouve qu'à cet instant-là, sur ce point-là naquit, s'épanouit et déclina la plus grande ardeur intellectuelle à vivre qui fut peut-être jamais. [...]

J'imagine que sans Giotto arrêtant sur les murs les deux dimensions planes de l'espace, sans Masaccio y suggérant une troisième dimension, sans Brunelleschi, Paolo Uccello, Piero della Francesca déterminant les lois géométriques qui le mettent à la disposition de l'homme, Luther et le criticisme allemand, François Bacon et l'empirisme anglais, René Descartes et la méthode française, n'eussent pu entraîner sur leur voie décisive les destins de l'Occident.

 

En fait, la peinture italienne a rendu possible l'émergence de l'individu et de la science. Il est aujourd'hui bien porté de décrier l'un et l'autre. Cependant, quelle que soit la forme de notre avenir, nous ne pourrons nous en passer. Nous ne pourrons pas détacher des assises du monde moderne, même s'il évolue vers une nouvelle mystique, cette passion de la vérité et de la gloire, cette curiosité universelle, ce besoin d'enquêter sur tous les terrains et de manier toutes les armes qui a donné son accent à la civilisation italienne et fait surgir de la multitude des hommes maîtrisant d'un seul poing quatre chevaux de sang, l'amour, l'ambition, la poésie, la science, dont L.B. Alberti et Léonard de Vinci demeurent les types les plus accomplis.

leonardo_da_vinci_034_battaglia_di_anghiari_1503

La bataille d'Anghiari, de Léonard de Vinci

Au Moyen-Age, l'individu s'abîme plus ou moins volontairement dans le symbolisme spirituel dont l'unité divine est le centre et dont la science et l'art, réunis la plupart du temps dans la même expression, ne sont que des attributs encore non différenciés. Le drame italien, au coeur duquel l'individu va paraître, est fait précisément de la rupture, par l'intelligence critique, de cette unité divine, rupture qui devait élargir graduellement la distance entre les expressions de la sensibilité et les expressions de la méthode. Mais l'âme italienne éprouvait une telle ivresse créatrice qu'elle trouva en elle-même, trois siècles durant, la force de couler sa sensibilité dans les voies de sa méthode et de n'émousser point ses émotions directes en approfondissant, sur l'objet et d'après l'objet minutieusement étudié, les moyens de le traduire. Le drame ne prit fin que lorsqu'elle s'en aperçut. Et c'est de cette brusque clairvoyance qu'est faite la grandeur de Michel-Ange et de Vinci, les derniers Italiens à maintenir, l'un la science exacte de la forme dans les méandres secrets de ses plus subtiles intuitions, l'autre les postulats les plus profonds du monde spirituel entre les lignes infrangibles d'une forme scrutée pour elle-même avec l'acharnement du désespoir.

Chapelle Sixtine - le Jugement dernier (détail), par Michel-Ange

michelangelo_041_giudizio_universale_dettaglioC'est de loin que nous jugeons et mesurons ces choses. Mais les Renaissants italiens les vécurent. Leur énergie à enfermer dans la même unité vivante les données de leur conscience et les acquisitions de leur savoir n'a pu dissimuler l'angoisse continue qui marque l'art italien des XIVe et XVe siècles et lui confère précisément son incomparable saveur. Entre la résistance intéressée ou innocente - souvent les deux- du Moyen Age dogmatique et l'effort de l'intelligence pour échapper à son emprise, une tragédie ardente se joue, qui donne à l'art italien, durant plus de deux cent ans, ce côté hagard, frénétique, anxieux, dont la plupart de ses maîtres le marquent. Ainsi va-t-il de l'organisme chrétien où il est encore, au XIIIe siècle, entièrement contenu, à l'organisme intellectuel du XVIe siècle, qu'il participe plus que quiconque à constituer. Mais ce passage d'un rythme à un autre est douloureux.

La vie spirituelle entière de Florence, par exemple, accouchant lentement aux fers l'enfant-homme qui jusque-là dormait entre les flancs obscurs, mais brûlants, du christianisme parvenu à son terme, constitue l'un des instants les plus saints de notre histoire occidentale. On ne peut imaginer énergie plus tendue et plus violemment contrariée que celle où ces hommes étonnants trempèrent les ressorts de l'Europe moderne.  Il leur fallut non seulement combattre les enseignements et les prohibitions de l'Eglise qu'ils acceptaient encore et la plupart du temps avec sincérité de propager dans leurs oeuvres, mais les habitudes du public - habitudes intellectuelles, formelles, visuelles - que tant de siècles avaient forgées. La découverte de la perspective, par exemple, marque l'entrée de l'espace réel dans l'unique plan de la peinture, et par conséquent de l'esprit, révolution non pas exclusivement géométrique, mais philosophique dont les conséquences, par mille passages secrets, vont se faire sentir dans toutes les manifestations du corps social.

[fin de citation] //////////////////////////////////////////////////////////////////////

ILLUSTRATIONS

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  • Textes ou images ... EN CORRESPONDANCE avec l'iconographie des anciens jeux de tarot : italiens (XVe siècle), Noblet et Viéville (Paris, ca 1650), Payen (Avignon ca 1713), Dodal (Lyon, ca 1701-1715), Conver (Marseille 1760) ...
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