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\\\\\\\\ Le . monde . des . tarots . anciens
2 novembre 2010

La femme royale en chrétienté

carte III L'IMPERATRICE [#]

 

Olivier CLEMENT, théologien orthodoxe : La révolte de l'Esprit,
en collaboration avec Stan Rougier (prêtre catholique), Ed. Stock, 1979

[extrait pp. 67 - 77 ] //////////////////////////////////////////////////////////////////

Le monachisme des temps héroïques, et qui constitue toujours, dans le secret, le coeur de l'Eglise en Occident comme en Orient, a littéralement arraché, avec la violence de ceux qui s'emparent du Royaume, la personne spirituelle à toute réalité de ce monde : et surtout à l'éros, soit dans ses extases impersonnelles, donc idolâtriques, soit dans sa fonction de procréation qui se contente de prolonger l'espèce quand il faudrait apprendre à renaître. Au IVe siècle, l'essor du monachisme et l'affadissement généralisé de la vie chrétienne, hors des déserts, par l'entrée des masses dans l'Eglise, entraîne, dans la littérature ecclésiastique, des éloges multipliés de la virginité : le nerf de ces textes, souvent inégaux et tentés par le dualisme, c'est l'espoir de consumer radicalement l'éros, de mettre son feu au service d'une alchimie du corps de gloire. L'homme spirituel, dit alors Evagre, est à la fois "séparé de tous et uni à tous". Le corps, dès ici-bas, commence sa métamorphose "céleste" : par les larmes charismatiques, sans crispation du visage, par l'embrasement du coeur, par la spiritualisation des sens. Et parfois s'anticipe ainsi, dans une expérience corporelle de la Lumière, ce Royaume où les justes "resplendiront comme le soleil".

Simultanément, le christianisme a marqué de la façon la plus positive la destinée de la femme et de la famille. Il faut le dire contre tant de critiques aveugles lancées à la "tradition judeo-chrétienne", devenue le bouc émissaire de gens qui ne la connaissent pas.[...]

Le christianisme a mis l'accent sur la fidélité, et autant de l'homme à la femme que de la femme à l'homme. Dans les Evangiles, Jésus prend ses distances à l'égard de la loi de Moïse pour affirmer l'égalité des droits et des devoirs de l'homme et de la femme dans le mariage, mariage dont il rappelle qu'il est originel et nullement lié à la chute. Pour l'Eglise ancienne, les trois péchés majeurs étaient l'idolâtrie, le meutre et l'adultère. La première donne au relatif une portée absolue, divinise le pouvoir ou la richesse [...] L'adultère signifie la dissociation de l'éros et de l'amour personnel, il rejoint l'idolâtrie qui poussait Israël vers les divinités de la terre et la prostitution sacrée, loin de la fidélité au Dieu vrai, c'est-à-dire, dans la saveur concrète de l'hébreu, au Dieu fidèle.

Young_20Woman_20Sandro_20BotticelliMalgré les compromis de chrétienté, ce ferment n'a cessé de travailler l'humanité européenne. Le christianisme a favorisé l'avènement de la famille nucléaire, fondée sur le couple, mais qui, longtemps, ne se repliait pas sur elle-même, prise qu'elle était dans la vie paroissiale, et relativisée aussi par des expériences temporaires de quasi-monachisme, lors des pélerinages par exemple. Le retard de l'âge du mariage pour la jeune fille qui permit à celle-ci d'affirmer sa personnalité et son choix, le rôle des grandes abbesses, la correction du droit romain pour une plus grande autonomie de la femme, on pourrait multiplier les aspects de cette transformation positive. (En France, c'est l'avènement de la société laïque qui, avec le Code Napoléon, restaura le droit romain dans sa dureté patriarcale).
------> les premières abesses [#]

Aujourd'hui, dans les pays d'Occident, et pour les raisons que nous allons voir, la "libération" de la femme se théorise contre la "tradition judéo-chrétienne"; mais, dans le tiers-monde, cette libération signifie au contraire l'introduction des attitudes suscitées par le christianisme.

 


Botticelli : Portrait de Simonetta Vespucci (1476-1480)

fr.wikipedia.org/wiki/Simonetta_Vespucci

Cependant, le mystère même de l'amour entre l'homme et la femme est resté presque ignoré des Eglises, peut-être jusqu'au Sens de l'Amour de Vladimir Soloviev (trad. française 1946), à la fin du XIXe siècle. Je mettrai à part de rares textes de saint Jean Chrysostome et, déjà, la déclaration de saint Paphnuce au premier concile oecuménique. Face aux laudateurs de la virginité et de la continence, qui voulaient imposer aux prêtres l'obligation du célibat, Paphnuce affirma que la sexualité, dans l'amour nuptial, reste "chaste", c'est-à-dire ne met pas en cause l'intégrité spirituelle de l'âme; c'est pourquoi, approuvé par le concile, il concluait que les hommes mariés peuvent recevoir le sacerdoce.
------> Paphnuce et Thaïs [#]

Dans l'ensemble, il faut bien le dire, les textes monastiques (patristiques aussi) disqualifient la vie sexuelle par des arguments dont une saine psychanalyse débusquerait sans difficulté les médiocres sous-entendus. La sexualité nuptiale est un péché toléré pour éviter pire, et dans l'espoir qu'elle donnera à l'Eglise des prêtres ou des moines. "Morale d'éleveurs" commentait Paul Edvokimov. Le célibat ecclésiastique généralisé en Occident, victorieux en Orient pour les seuls évêques, a posé comme une incompatibilité entre l'amour humain et la célébration des mystères.

tn_211_portrait_femme
A la fin du premier millénaire, lorsque la chrétienté, en Orient comme en Occident, émerge du "déluge" des invasions et doit prendre presque totalement en charge la société civile, elle puise, pour organiser celle-ci, non seulement dans le droit romain, mais aussi dans les prescriptions vétéro-testamentaires [juives] : c'est ainsi que la problématique du pur et de l'impur concernant la sexualité, et notamment la sexualité féminine, a pénétré dans le droit ecclésiastique. La femme est "impure" durant ses règles et exclue alors de la communion, "impure" aussi pendant les quarante jours qui suivent la naissance de son enfant, jusqu'au rite des relevailles, avant lequel elle n'a pas le droit d'entrer dans une église. En Orient, la femme s'est vu interdire l'entrée du sanctuaire, au-delà de l'iconostase.

 


Botticelli : Portrait, 1481-82, ex collection Rothermere
www.senat.fr/evenement/botticelli/oeuvres.html

 

Faut-il le rappeler, pareille sensibilité est inconnue dans les Evangiles où le Christ n'hésite pas à enfreindre les interdits traditionnels pour affirmer la dignité personnelle de la femme, où le langage du pur et de l'impur est soit intériorisé, soit remplacé par celui de la dette et de la remise de dettes, qui exprime essentiellement des relations personnelles. Le sabbat est pour l'homme et non l'homme pour le sabbat. Rien d'extérieur ne peut souiller l'homme, ce qui le souille, ce sont certaines dispositions de son coeur.

Jésus s'entretient publiquement avec la Samaritaine, doublement impure pour un Rabbi, comme femme et comme hérétique. Il ne tient nullement compte de l'impureté légale de l'hémorroïsse. Il laisse les prostituées l'approcher. Il pardonne à la femme adultère et ce pardon qui restaure la personne en lui rouvrant l'avenir, signifie aussi qu'on ne doit pas être plus sévère pour la faute d'une femme que pour celle d'un homme. [...]

 

Quant au fait que les femmes, dans la tradition de l'Eglise ancienne, ne peuvent recevoir l'ordination sacerdotale, il faut être bien superficiel pour l'attribuer, comme il est de mode aujourd'hui, au contexte socio-culturel. Le Christ et ses apôtres, en ce qui concerne l'égale dignité de l'homme et de la femme, ont nettement rompu avec la loi et la coutume juives. Et dans le milieu où se sont multipliées les communautés chrétiennes, après leur séparation d'avec le judaïsme, les prêtresses étaient nombreuses.Il semble qu'ait plutôt joué un symbolisme implicite du masculin et du féminin. La femme, par sa nature, exprime la maternité. Prêtresse, qu'elle le veuille ou non, elle témoigne de la Grande Mère divine et cosmique, d'un Dieu-Mère en qui tout se résorbe et non du Dieu transcendant de la Bible, qui veut la distance et l'affrontement. Les cultes, qui se répandaient dans l'Empire romain, de la Magna Mater proche-orientale et de l'Isis égyptienne, culminaient au mythe de l'inceste de la déesse-mère et de son fils-amant, mythe du retour à la fusion originelle. Ils s'accompagnaient parfois, chez les fidèles, d'une prostitution anonyme, d'une féminisation de l'homme par le vêtement, voire par l'émasculation volontaire.
------> mère mythique [#]
------> mère nature
[#]

Dans la perspective chrétienne, le Dieu vivant, en Christ, se fait l'époux de l'humanité, l'époux de l'Eglise. C'est pourquoi le Christ, tout en récapitulant l'entière humanité, est un homme (au sens masculin) et choisit parmi les hommes ceux qui le représenteront pendant la célébration : mais non qui le présenteront, le rendront présent au monde, mission du peuple de Dieu tout entier, qui, dans ce sens est un peuple de rois, de prêtres et de prophètes, les femmes autant que les hommes. Dans la célébration, le prêtre est l'image du Christ et, par le Christ, du Père; il joue un rôle, il n'est pas ce qu'il représente, il n'acquiert aucune supériorité ontologique, seul le service et l'humilité lui conviennent.

Le femme, en revanche, incarne avec une force particulière la condition commune de l'être humain appelé à la déification dans l'Esprit. Là sa nature s'exprime et se transfigure hors de toute ambiguïté. Si, dans l'Eglise, la femme ne peut "parler" sacerdotalement (I Cor. 14,34-35), elle peut y "prophétiser" selon l'Esprit-Saint (I Cor.11,5). La Didascalie des Apôtres, un texte syriaque du IIe siècle, rapproche du rôle du Saint-Esprit le service - la"diaconie" - de la femme. [texte en ligne ici] Jusqu'au XIIe siècle, l'Orient chrétien a connu des diaconesses chargées à la fois de secourir les pauvres et de pratiquer l'immersion baptismale des néophytes féminines. [...]

Quant aux sectes gnostiques de la même époque (IIIe s.) tantôt elles exaltaient, elles aussi, l'Esprit et la virginité, tantôt elles retrouvaient l'archétype de la Magna Mater, avec la débauche sacrée. Mais toujours elles haïssaient l'amour humain fidèle et responsable.

botticelli_madonnaLa symbolique chrétienne du masculin et du féminin pose une différence des natures dans l'égale dignité des personnes, mais ne subordonne nullement le féminin au masculin. La seule supériorité qui compte dans l'Eglise est celle de la sainteté; le ministère est un échafaudage, indispensable mais temporaire; seule la sainteté atteint l'ultime, anticipe le Royaume, comme le fait déjà une femme, la Mère de Dieu. [...]

Sandro Botticelli : Madone à la grenade (détail) ca 1487
www.e-bousquet.com/Coups-de-coeur/Mes-maitres

 

Et les dons de la femme peuvent être, comme pour tout baptisé qui a reçu l'onction de l'Esprit, d'ordre prophétique, royal ou sacerdotal, au sens non pas fonctionnel mais charismatique de ce dernier mot : la femme, dans l'Eglise, doit pouvoir manifester son rôle de co-liturge [...]

Malheureusement l'Eglise s'est peu à peu organisée comme une société hiérarchisée où les dons de l'Esprit ont été presque monopolisés par le ministère et le monachisme. Le sacerdoce a été conçu comme une initiation initiatrice : laquelle rend ses détenteurs supérieurs au peuple [...] La femme s'est retrouvée exclue de cette "initiation", confinée au plus bas degré de cette structure hiérarchique. [...]


La sexualité a été comme maudite. La pensée chrétienne traditionnelle n'a jamais vraiement rendu compte du fait que dans la condition paradisiaque on ne trouve pas le moine mais le couple. [...] La réaction était inévitable. Aujourd'hui, dans l'effondrement des interdits, la "libération" de l'éros et celle de la femme semblent se renforcer, en réalité se contrarient. La femme s'affirme comme une personne pleinement responsable, elle refuse d'être un objet érotique. Mais la situation de chrétienté tend à s'inverser : la personne s'arrachait à la nature, aujourd'hui la nature menace de la submerger. L'objectivation de la sexualité transforme les corps en "machines désirantes" où le plaisir à la fois s'exaspère et se banalise, dans une tristesse et une violence diffuses. Le mépris de la virginité, dont presque toutes les civilisations ont respecté le mystère, pourrait signifier le mépris de la réalité, toujours virginale, de l'âme. La libération de l'éros conçue comme refus de l'ascèse, comme abandon à l'instinct, aboutit à la négation de la personne : "L'amour révolutionnaire est un amour qui refuse les personnes (simulacres dérivés d'un ensemble dont le code est inconsciemment investi pour lui-même)", Deleuze et Guattari, L'Anti-Oedipe, Paris, 1972. Et Deleuze déclare : "Quant à être responsable ou irresponsable, nous ne connaissons pas ces notions-là, c'est des notions de police ou de psychiatrie de tribunal" (Revue l'Arc, n° 49)


Sandro_Botticelli_069__1_
Sandro Botticelli : Simonetta Vespucci (ca 1474)
fr.academic.ru/dic.nsf/frwiki/813826

A cette dislocation s'oppose seulement le retour de la passion [...]

Mais la passion est un trompe-néant et si parfois, par éclairs, elle apporte la révélation déchirante de l'autre, elle se hâte par son intensité même, puis par sa disparition, de refermer la déchirure. Le plus souvent, elle reste projection illusoire du moi, Swann déchiffrant la beauté d'Odette à travers celle des femmes de Botticelli.

La véritable découverte de l'autre, ou plutôt sa révélation, qui ne tarit pas son secret mais le consacre, exige patience et durée, et lent déplacement de l'absolu de l'amour aimé pour lui-même, pour soi-même, à l'autre si longtemps ignoré. Exige la grâce et l'ascèse. Ce sont cette révélation, cette ascèse qui sont aujourd'hui en cause.

Le risque ultime, si l'homme et la femme ne se font plus accueillants à la grâce, pourrait être, comme un mythe, l'idée d'une scission de l'espèce humaine, femmes d'un côté, hommes de l'autre, sous le signe du narcissisme et de l'homosexualité. Mythe, utopie, certes, mais qui s'installe comme une tentation dans les âmes et contribue à les disloquer. Avertissement aussi : sans la grâce et l'ascèse, hormis les brefs éclairs de la passion (qui peut elle-même être une grâce, du moins un appel), il n'est, entre les sexes, que séparation et que guerre.

Mais le véritable amour ne cesse de se réinventer.

[fin de citation] /////////////////////////////////////////////////////////////////////
Autres extraits du même ouvrage : 
(cartes XVII L'Etoile, XVIIII Le Soleil) L'homme est vivant quand il aime et se sait aimé [#]
(carte XX Le Jugement ) A Constantinople [#]
(carte XXI Le Monde) La personne [#]

 

L  I  E  N  S

ILLUSTRATIONS :
Sandro Botticelli (1444/45-1510) : http://fr.wikipedia.org/wiki/Sandro_Botticelli
fr.academic.ru/dic.nsf/frwiki/813826 et www.senat.fr/evenement/botticelli/oeuvres.html

TEXTES CITES :
La Sainte Bible : Jésus et la Samaritaine (Evangile de Jean, chap. 4)
www.aelf.org/bible-liturgie/Jn/Evangile+de+J%C3%A9sus-Christ+selon+saint+Jean/chapitre/4
Didascalie des Apôtres (IIIe s.) :
description : www.newadvent.org/cathen/04781b.htm
texte en ligne : www.archive.org/details/LaDidascalieDesApotres
ou : jesusmarie.free.fr/DTC_Didascalie.html

PERSONNAGES CITES :

PAUL EDMOKIMOV (1900-1970), sur le SACERDOCE ROYAL des chrétiens laïcs (non moines) :
www.pagesorthodoxes.net/mariage/evdodimov-laics.htm

EVAGRE LE PONTIQUE (346-399) :
fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89vagre_le_Pontique

PAPHNUCE (+360) évêque en Egypte :
nominis.cef.fr/contenus/saint/1837/Saint-Paphnuce.html

Vladimir SOLOVIEV (1853-1900) :
www.biblisem.net/etudes/tavernvs.htm

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