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\\\\\\\\ Le . monde . des . tarots . anciens
4 novembre 2010

Villon (1431-1480?) à jamais mort [PENDU]

Carte XII LE PENDV [#]
Carte XIII [#]

Paul Guth (1910-1997) : Histoire de la Littérature Française FLAMMARION 1967 - rééd. 1981
[extrait pp. 42-46] ////////////////////////////////////////////////////////////////////

Brusquement éclate ce nom : Villon, le plus grand que nous rencontrons depuis la nuit des temps français. [...] Villon, ce nom brillant qui n'était pas le sien. Aurions-nous rêvé autant sur un François des Loges, ou de Montcorbier, ainsi que s'appelait ce fils d'un Bourbonnais et d'une Angevine ? Le nom de Villon est celui d'un honnête chapelain de Saint-Benoît-le-Bétourné, qui adopte le petit. Il fait de bonnes études. A vingt et un ans, François est maître ès arts : licencié ès lettres. Mais il a cette nature de cire, ployable dans tous les sens, des étudiants perpétuels qui traînent dans les tavernes du Quartier Latin. Cela débute par des facéties, comme Les Repues franches de François Villon, poème qui n'est pas de lui, mais qui prouve qu'il avait laissé la réputation d'un boute-en-train.
-----> la chanson des deux pots de vin [#]

Malheureusement, on est fort capable, après boire, de planter son couteau dans le coeur d'un prêtre louche, un Philippe Sermoise, qui a bu peut-être lui aussi, à qui votre figure ne revient pas. Il ne reste plus à Villon qu'à changer d'air. Des lettres de rémission lui permettent de rentrer à Paris. De faiblesses en complicités, il descend vers les bas-fonds. L'excitation du danger, la poésie des voyous, la bravade contre la société, l'illusion que lui, un intellectuel, un licencié, il saura garder la tête froide et s'arrêter à temps. Et puis, goûter en dégustateur, à petite dose, ce que les honnêtes gens appellent "le mal", c'est délicieux ... Il cède au vertige. Il devient un "gars du milieu". [...]  Il participe à un hold-up au Collège de Navarre. Un gros coup : cinq cents écus d'or. [...] Il est si peu repentant qu'il a l'intention, à Angers, tout en feignant d'aller saluer son oncle, un bon moine, d'étudier le nouveau coup que l'on pourrait monter contre un opulent homme d'Eglise. Sous la torture, un de ses complices du Collège de Navarre le "donne". Pendant m_photo_tour_de_foix_chateaux_de_la_loire_blois_412six ans, Villon se garde de remettre les pieds à Paris. Il se distrait en rimant.

 

A la cour poétique de Blois, chez Charles d'Orléans, il raconte qu'il court la France à cause de son amour pour Rose. [...] Alors qu'il battait tous les concurrents du concours poétique du prince sur le thème Je meurs de soif auprès de la fontaine, il écrivait aussi des ballades dans l'argot des gangsters, les Coquillards. Un homme mi parti : d'un côté le milieu fleuri des poètes, de l'autre, le "milieu" tout court, et son haleine d'égout.
------> enluminure de Charles d'Orléans prisonnier à Londres [#]

château de Blois, Tour de Foix (XIIIe s.)

Château de Meung-sur-Loire     

meung200930En juin 1461, il gémit dans la tour Manassès, à Meung-sur-Loire, l'une des prisons de l'Evêque d'Orléans. Comme clerc il en appelle à l'Evêque de Paris pour être jugé dans son diocèse. Il en appelle aussi à ses doubles relations : aux chahuteurs du Quartier Latin, "danseurs, sauteurs, faisant les pieds de veaux" (les pieds au mur), et aux "poètes, faiseurs de lais, de motets et rondeaux", pour qu'on le tire de là, lui "le povre Villon". Heureusement le nouveau roi, Louis XI, passe par Meung. En don de joyeux avènement on élargit le rimeur enchaîné.
-------> Louis XI [#][#] - mentions ponctuelles [#][#]

 

Villon essaie de faire une fin. Mais aucune muselière ne peut retenir ce dogue. Le duc de Bourbon ne parvient pas à l'attacher à Moulins. Et Villon n'ose pas se jeter dans les bras de son père adoptif, le bon chanoine, qui l'a tiré de tant de mauvais pas. Il ne sait où se réfugier en province. Il a peur de rentrer à Paris. Il est aux abois. En janvier, février ou mars 1462, à trente ans, il rédige son Grand Testament. Ce XVe siècle, le grand siècle de la mort, suspendu entre le Moyen Age et la Renaissance, entre la foi en Dieu et la foi en la vie, qu'il croit incompatibles, se plaît à deux jeux funèbres : testaments littéraires, danses macabres sculptées, gravées ou peintes, comme celle de l'abbaye de la Chaise-Dieu. [...] Il jette toute sa vie, comme si elle allait finir. Il se fouille jusqu'aux moelles, avec le regard sans pitié de l'examen de conscience. Lui qui a déjà comparu devant tant de juges, il s'inflige son Jugement Dernier, avant de passer devant le Juge des Juges.
------> [DANSE MACABRE] L'angoisse de la créature
[#]
------> [JUGEMENT DERNIER] Image dans l'église médiévale [#]

A trente ans, il se sent fini. Flapi, usé jusqu'à la corde par sa vie de chien et son incarcération au donjon de Meung où le froid lui a rongé les os. Comment a-t-il pu en arriver là ? Il revoit l'écolier qu'il était, ce petit François éclatant de dons, qui aurait pu monter en vainqueur à l'assaut de la vie.

                Hé! Dieu, si j'eusse étudié,
               au temps de ma jeunesse folle,
               Et à bonnes moeurs dédié,
               J'eusse maison et couche molle.
               Mais quoi ! Je fuyais l'école,
               Comme fait le mauvais enfant.
               En écoutant cette parole,
               A peu que le coeur ne me fend.

Il fait le dénombrement de ses amis, "ces gracieux galants" qu'il suivait au temps jadis. [...] Il y a là les grands, les petits, les bourgeois, les nobles, les dames au collet altier, triomphantes dans leurs atours. Ils n'ont guère à faire les fiers, car la Dame à la Faux, l'élégant squelette des peintres, les "saisit sans exception".
-------> [FAUX] [#][#][#]

Mais soudain, silence. Tout ce qu'il vient de dire, qui regorgeait pourtant de sincérité et de pitié, c'était encore des mots, qui concernaient les autres, ou des régions de lui-même encore protégées. Il faut aller plus loin, dans la chair de la chair, jusqu'aux entrailles de l'âme. Là soudain seul, c'est la mort qu'il sent, non celle des autres, comme sur les fresques et les images, mais sa mort à lui. Ils le laissent avec Elle, la spécialiste des épouvantements, qui le travaille comme le bourreau torture le condamné sur le chevalet.

               La mort le fait frémir, pâlir,
               Le nez courber, les veines tendre,
               Le col enfler, la chair mollir
               Jointes et nerfs croître et étendre.

C'est ainsi que les choses se passeront, pour vous, pour moi. La panique nous gagne en écoutant cette voix, qui rejoint les clameurs primordiales des prophètes. C'est un professionnel du corps qui nous parle, un technicien de tout ce qui peut affecter cette guenille : la faim, le froid, les coups des bagarres, les tortures des geôles et les jouissances volées "en ce bordel où tenons notre état." Avec de fulgurants à-coups shakespeariens, qui précipitent l'esprit et les sens confondus des abîmes au ciel, Villon s'élance brusquement, après les terrifiants grondements des orgues de la mort, jusqu'au murmure de la flûte suave. [...]  Il a tout jeté dans la fosse de son Grand Testament [...] : les souffrances de son corps, son harem idéal, les dames du temps jadis [...], et toute la foi naïve du Moyen Age qui s'éloigne, déjà, pareil aux "neiges d'antan", avec les agenouillements de sa mère, "povrette et ancienne", devant les vitraux de sa paroisse promettant les luths du ciel et les marmites de l'enfer. Toute cette musique que peut faire, à elle seule, la terrible voix plébéïenne d'un homme surgi des gouffres de la société, d'un enterré vivant, qui touche par les pieds aux enfers et dont la bouche seule dépasse, s'ouvre au ciel, et crie. [...]  Il a bu le calice jusqu'à la lie. Il s'est prouvé à lui-même qu'à force de tâter ses bornes et de tenter le diable, afin de voir jusqu'où on pouvait aller trop loin, on réussissait à descendre de plus en plus bas. On croit toucher au terme de la connaissance et du dégoût de soi, alors que ce terme recule sans cesse.


En décembre 1462, pour une ridicule histoire de coup de dague qui pique un peu un notaire pontifical, et à laquelle il assiste sans rien faire, il est condamné à mort par le Châtelet. A la plus sale mort : étranglé et pendu au gibet de Paris. A force de jouer avec la peur et avec la vie [...]  le voici brutalement réveillé. Au pied du mur, au sommet duquel se dresse un gibet. Tout le reste n'était que rêve, jonglerie d'artiste. Mais alors qu'il croyait jouer, ce pauvre enfant qu'est tout poète, c'était lui le jouet. Dans le Grand Testament encore, sans s'en douter, il s'amusait à prendre le destin avec des mots, comme les chasseurs prennent des alouettes à la glu. Maintenant voilà la vérité, l'unique nécessaire : le gibet. Alors il écrit son vrai testament. Dans le Grand, il s'imaginait mourant, dans son lit, comme tout le monde. Maintenant, il est déjà mort. Il imagine ce qu'il sera après.

La Ballade des Pendus : au-delà de toute littérature, au-delà des mots, la vérité, à même nos nerfs, comme le fer rouge des supplices. Non plus la voix d'un enterré vivant au-dessus de la bouche duquel reste le ciel. Ni la voix d'outre-tombe d'un mort bien élevé qui expira dans ses draps. Mais un marmonnement d'outre-gibet, émané de "ce qui n'a de nom dans aucune langue", de ces choses que la justice des hommes transforme en pantins pendillant, au gré du vent, comme une abjecte lessive. Parmi ce paquet de cinq, six, attachés ensemble, il y a ce qui fut François Villon. De ce pitoyable gibier pour le bec des oiseaux s'échappe, modulée par le vent, une sourde voix qui nous appelle "frères". Et ces défroques de honte et de dérision évoquent, soudain, un autre gibet, sur un mont de Judée. La rumeur qui s'en échappe nous rappelle, au terme du voyage terrestre d'un nommé François Villon, qu'autrefois nous avons ainsi crucifié un Dieu.

Il importe peu, ensuite, que Villon n'ait été condamné qu'à dix ans de bannissement de la capitale et en ait remercié ses juges avec effusion. Pour nous, pour lui sans doute, il n'existe plus. D'ailleurs nous ignorons ce qu'il est devenu.

Pour la postérité, Villon est mort pendu et son ombre se balance toujours, comme une enseigne géante, au-dessus de  Paris.

[fin de citation] //////////////////////////////////////////////////////////////////////
Autres citations de François Villon : [#][#]
Autres textes littéraires classiques cités dans le blog :
Jacques-Bénigne BOSSUET (1627-1704) : [#] - Jacquemard GIELEE (°1240) [#] - Ernst WIECHERT (1887-1950) [#][#][#][#]
Autres poèmes cités dans le blog :
- "Tristan et Yseut" (XIIe s.) [#] - "L'Outillement au Villain", auteur anonyme (XIIIe s.) [#] - Ballade d'Eustache DESCHAMPS (XIVe s.) [#] - poèmes médiévaux inspirés de l'Antiquité [#] - poème médiéval de la Roue de Fortune (XIe s.) [#] - Joachim DU BELLAY [#] - "Les Tragiques" d'Agrippa d'Aubigné (fin XVIe s., 1e édition 1616) [#] - Lettre de Voltaire (1740) [#] - Victor Hugo [#]

 

L  I  E  N  S

 

L'AUTEUR DU TEXTE CITE : Paul GUTH : fr.wikipedia.org/wiki/Paul_Guth

PERSONNAGES CITES :
LOUIS XI (1483-1523), roi de France : www.histoire-en-ligne.com/spip.php?article221
www.larousse.fr/encyclopedie/personnage/Louis_XI/130423
Charles d'ORLEANS (1391-1465) :
fr.wikipedia.org/wiki/Charles_Ier_d%27Orl%C3%A9ans
François VILLON (1431- 1480 ?) poète français :
www.alalettre.com/villon.php
fr.wikipedia.org/wiki/Fran%C3%A7ois_Villon
www.larousse.fr/encyclopedie/personnage/Villon/149040

www.terresdecrivains.com/article.php3?id_article=217

OEUVRES LITTERAIRES CITEES :
La Ballade des Pendus (texte et analyses) : fr.wikipedia.org/wiki/Ballade_des_pendus

LIEUX CITES :
BLOIS - histoire de la ville : www.larousse.fr/encyclopedie/ville/Blois_41000/109148
BLOIS - le château : www.chateaudeblois.fr/?-Histoire-
La CHAISE-DIEU (Haute-Loire) :
l'abbaye et sa danse macabre :
www.abbaye-chaise-dieu.com/-La-danse-macabre-.html
Châtelet, les définitions du Littré : www.mediadico.com/dictionnaire/definition/Chatelet/1
MEUNG-SUR-LOIRE (Loiret) - ancien château des évêques d'Orléans :
PARIS, Collège de Navarre : fr.wikipedia.org/wiki/Coll%C3%A8ge_de_Navarre
PARIS, église Saint-Benoît-le-Détourné : fr.wikipedia.org/wiki/Saint-Beno%C3%AEt-le-B%C3%A9tourn%C3%A9
PARIS, Quartier Latin : www.louislegrand.org/index.php/renseignements-articlesmenu-30/23-articles/quartier-latin/122-histoire
fr.wikipedia.org/wiki/Quartier_latin_%28quartier_parisien%29
(photos des monuments du Quartier Latin) : paris1900.lartnouveau.com/paris00/le_quartier_latin.htm
délimitation spatiale (enquête de 2000) : hal.archives-ouvertes.fr/docs/00/25/80/11/PDF/chapitre10_metropole_parisienne.pdf
historique de l'enseignement au Quartier Latin (6 tomes en pdf) : http://www.parisquartierlatin.fr/about/granat.php

ILLUSTRATIONS :

Collège de Navarre (Paris) : fr.academic.ru/dic.nsf/frwiki/392290
Tour de Foix (XIIIe s.) du château de Blois : www.photo-evasion.com/photos/photographie-tour_de_foix_chateau_blois_chateaux_de_la_loire-412.html
Château de Meung-sur-Loire : maurtimer.wordpress.com/page/5/

 

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