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\\\\\\\\ Le . monde . des . tarots . anciens
11 novembre 2010

Saint Syméon l'Ancien et autres stylites

Carte VIIII L'HERMITE [#]
Carte XII LE PENDV [
#]

Jacques LACARRIERE : Les hommes ivres de Dieu FAYARD 1975
[extrait] ////////////////////////////////////////////////////////////////////////
pp. 183-184

Les stylites : définition

Malgré ses stationnaires, ses reclus, ses brouteurs, la Syrie n'aurait jamais tenu dans l'histoire du christianisme le rôle singulier qui fut le sien si elle n'avait donné naissance à une forme d'ascèse plus étonnante encore : le stylitisme.

Les stylites (du grec stylos : colonne) étaient des ascètes vivant sur de hautes colonnes et qui passsaient là des années entières, dans une immobilité absolue. C'est la synthèse - poussée jusqu'à une forme extrême - de toutes les ascèses précédentes : le stylite est un stationnaire (puisqu'il demeure immobile sur sa colonne) et un reclus (puisqu'il s'impose de rester confiné des années dans un espace restreint). De plus, il vit à la fois loin des hommes (en haut de sa colonne) et au milieu des hommes (chaque stylite devenant l'objet d'une vénération fanatique). Le sens symbolique de cette ascèse est donc des plus nets et les auteurs de l'époque ne s'y sont pas trompés : en s'installant sur une colonne et en s'éloignant de la terre et des hommes, il vit à mi-chemin de la terre et du ciel d'où il peut s'entretenir avec Dieu. [...]

C'est à saint Syméon  [+459] que revient l'honneur d'avoir eu, le premier, l'idée de s'installer sur une colonne. Sa vie nous est connue par un certain nombre de témoignages [...] à peu près contemporains du saint : celui de Théodoret de Cyr, d'abord, qui visita l'ascète [...] une vie syriaque, enfin, la Vie de Mar Sema'an à la colonne (Mar signifiant saint en syriaque), écrite aux environs de 473 ,soit quinze ans après la mort du saint et qui, historiquement parlant, semble la plus sûre. [...]

-------> symbolisme chrétien de la colonne, cf. [#]

Vie de Saint Syméon le Stylite

pp. 185-190

Il naquit en 389 à Sisan, village situé aux environs de Nicopolis, à la frontière de la Syrie et de la Cilicie et, après avoir gardé quelque temps des troupeaux, décide de se consacrer à Dieu. Il entre alors comme novice au monastère de Téléda, un des plus importants monastères de la Syrie chrétienne, à quarante kilomètres au Nord d'Alep, sous la direction spirituelle d'un vieillard du nom d'Héliodore [...] Là, très vite Syméon se distingue des autres moines par des austérités si incroyables qu'on le prie, poliment mais fermement, de quitter le monastère. [...]Syméon abandonnera définitivement la vie cénobitique pour vivre en anachorète et se livrer, en toute tranquillité, à des jeûnes et des mortifications terrifiants.Il s'installera d'abord au pied d'une montagne sise près de Tellnessin, village au Nord-Est d'Antioche, où il se fera murer dans une cabane pour le Carême et y restera quarante jours sans toucher aux pains qu'on lui avait fournis. [...]

Trois ans plus tard, il s'installera au sommet de cette montagne, en un lieu appelé aujourd'hui Qala'at Sema'an (le château de Syméon) où il construisit un enclos de pierres sèches et se fit faire "une chaîne en fer de vingt coudées dont il attacha un des bouts à son pied droit et l'autre à une grosse pierre afin de ne pouvoir sortir de ces limites, même s'il le voulait. Et là sans que la chaîne à laquelle il était ainsi attaché pût empêcher ses pensées de voler vers le ciel, il s'occupait sans cesse à contempler avec les yeux de la foi et de l'esprit les choses qui sont au-dessus du ciel.

Ce qui lui vaut une renommée de perfection qui attire déjà autour de cet enclos une foule de pélerins et d'adorateurs avides de contempler le saint enchaîné. Mais il renonça vite à cette ascèse spectaculaire, le patriarche d'Antioche - Mélèce - lui ayant fait remarquer que lorsqu'on veut rester immobile, on peut très bien y parvenir par la seule volonté sans recourir à des murs et des chaînes. [...] Syméon interprète au sens propre des interdits ou des injonctions ascétiques qui n'ont, évidemment, qu'un sens figuré. Parce qu'on lui a enseigné qu'il faut enchaîner le corps dans les liens de la volonté et de l'ascèse, Syméon enchaîne le sien et se mure dans une cabane ou un enclos. Aussi, lorsque quelque temps plus tard il voudra "s'élever" à une perfection spirituelle plus grande encore, montera-t-il tout naturellement sur une colonne pour y être plus près du ciel. [...]

Dans un passage de son livre, La Déesse syrienne, l'écrivain Lucien de Samosate [auteur grec païen du IIe s.] mentionne en effet un rite célèbre en son temps en Syrie, à Hiérapolis, en l'honneur de la déesse Atargatis, au cours de laquelle un célébrant devait escalader un immense phallus en pierre de cinquante-deux mètres de haut et demeurer au sommet une semaine entière. Le seul point commun que l'on puisse trouver entre ce rite et le stylitisme, c'est la signification que les foules syriennes donnaient précisément à ce séjour au sommet du phallus. Car, écrit Lucien de Samosate, "la foule est persuadée que cet homme, de cet endroit élevé, converse avec les dieux, leur demande la prospérité de toute la Syrie et que les dieux entendent de plus près sa prière." C'est - presque identiquement - les termes employés par Théodoret de Cyr et Evagre le Scolastique [...] pour définir le sens de l'ascèse de Saint Syméon. Ce texte nous aide ainsi à comprendre que cette croyance en la valeur et les pouvoirs de l'élévation matérielle n'est pas d'origine chrétienne mais païenne et aussi pourquoi le stylitisme eut tant de succès en Syrie. C'est qu'il fait appel à un sentiment et une croyance fort répandus dans la Syrie païenne, selon lesquels plus un homme est haut, mieux il converse avec les dieux.

La colonne de Saint Syméon l'Ancien

Au point que lorsque Syméon, après son séjour dans l'enclos, s'installera sur une colonne pour échapper à l'importunité des visiteurs dont certains se disputaient déjà des morceaux de ses vêtements, il passera désormais, aux yeux de toute la Syrie, pour un homme "qui parle avec Dieu". Sa première colonne, pourtant, ne le rapprochait guère du ciel : elle n'avait que cinq mètres de haut. Mais, par la suite, il s'établira sur des colonnes de six, puis de onze mètres. La dernière colonne - sur laquelle il mourut en 459, à l'âge de soixante-dix ans -, à Qala'at Sema'an, avait environ vingt-cinq mètres de haut, "le désir qu'il avait de s'envoler vers le ciel faisant qu'il s'éloignait toujours plus de la terre".

La base de cette colonne existe encore en Syrie, à l'emplacement même où mourut le saint, à proximité de l'immense basilique qu'on édifia à sa mémoire et dont d'importants vestiges existent toujours. Cette colonne se terminait à son sommet par une plate-forme de quatre mètres carrés de surface, ce qui permettait tout juste au saint de s'étendre. En fait, il passait toutes ses journées debout - immobile- à prier ou à faire des adorations et dormait assis, appuyé sur la petite balustrade qu'il fit construire tout le long de la plate-forme pour ne pas tomber en cas de vertige. Il lui arrivait même, dit un passage de sa Vie par son disciple Antoine, de passer ses journées debout sur une seule jambe. Dans de telles conditions, les membres ankylosés de l'ascète se couvrirent de plaies et d'ulcères qui s'envenimèrent rapidement, Syméon restant, jour et nuit, exposé à toutes les intempéries. [...]

PHOTO_61Ses nuits, Syméon ne les passe nullement à dormir, mais à prier, les mains élevées vers le ciel, depuis le coucher du soleil jusqu'à son lever le lendemain, sans jamais fermer les papières ni sans chercher le moindre repos.


On vient le regarder, l'admirer, déposer dans le panier qui pend en permanence au bas de la colonne l'offrande ou la nourriture qui permettra au saint de s'alimenter (car il ne vit que d'aumône) et, si possible, obtenir de lui une parole, un enseignement, une bénédiction. [...] 

C'est même, parfois, sur la colline de Tellnessin, une véritable cohue, au point qu'un jour Théodoret manque d'être étouffé par la foule des admirateurs de Syméon. La plupart d'entre eux restent des heures entières à regarder le saint et le disciple du stylite a le plus grand mal à les disperser et à les faire rentrer chez eux à la nuit tombante.

Maître Théophanis :
Fresque (1527), détail
Monastère d'Haghios Nikolaos, Météores, Grèce
assocfrancohellenique19.over-blog.com/

Une telle dévotion devait d'ailleurs, à la mort de Syméon, survenue en 459 (d'après les indications de la Vie syriaque), provoquer des troubles graves autour de sa colonne, puisqu'il fallut l'intervention de six cents soldats d'Antioche pour protéger le corps du saint contre les Sarrasins venus s'en emparer !

 

 

 Ses premiers imitateurs : St Daniel ...

De son vivant et au cours des siècles qui suivirent, saint Syméon trouva nombre d'imitateurs. Sans devenir à proprement parler une institution, le stylitisme se répandit en Syrie et dans le Proche-Orient depuis Byzance jusqu'en Mésopotamie. Il faut reconnaître que la seule vue d'un stylite - debout, immobile au sommet de sa colonne, entouré d'une foule admirative - devait être des plus spectaculaires et susciter de nombreuses vocations. Ainsi, un jour, un jeune moine du nom de Daniel, venu à Antioche avec d'autres moines, abandonne ses compagnons en apercevant saint Syméon en haut de sa colonne et passe deux semaines à ses pieds à le servir. Par la suite, à la mort du saint, Daniel s'installera comme stylite près de Byzance, où les plus hauts dignitaires de l'Empire, y compris l'empereur Léon Ier et l'impératrice Eudoxie, viendront le trouver pour solliciter ses conseils et sa bénédiction. Un officier du Palais impérial, Titus, renonce même à l'armée envoyant le saint sur sa colonne et s'établit à proximité en inventant une nouvelle forme d'ascèse : il se fait suspendre dans les airs par des cordes passées sous les aisselles afin que ses pieds ne touchent jamais le sol. Pour dormir, une simple planche fixée à la hauteur de sa poitrine lui sert d'appui ! 

 

... St Syméon le Jeune et St Alype

 

Au VIIe siècle, deux stylites célèbres - saint Syméon le Jeune et saint Alype - imiteront à leur tour Syméon l'Ancien. Le premier s'établit près de Séleucie, le port d'Antioche, sur une montagne dominant la mer et baptisée - depuis son séjour - le mont Admirable. [...] Du haut de sa colonne, il harangue les pélerins et se livre à de telles macérations que le supérieur d'un monastère tout proche lui dit un jour : "Il ne te reste plus qu'à prendre une épée et à te tuer." La foule devient même si pressante et si nombreuse que Syméon le Jeune décide de fuir. Mais comment fuir lorsqu'on est un stylite ? Où qu'il s'installe, ses admirateurs fanatiques auront tôt fait de le retrouver. Il lui faut donc renoncer - pour un temps - au stylitisme, se faire oublier, en se retirant pendant dix ans dans les solitudes les plus inaccessibles du mont Admirable. Après quoi, à l'âge de trente ans, il reviendra parmi les hommes et se fera construire une colonne de vingt mètres de haut où il passera le reste de ses jours, jusqu'à soixante-quinze ans.

Le second stylite, saint Alype, contemporain de saint Syméon le Jeune, s'installa près d'Hadrianopolis dans le Pont, où il restera vingt-neuf ans sur une colonne. Bien que sa Vie contienne moins d'éléments miraculeux que celle des deux Syméons, saint Alype acquit une grande célébrité et il est un de ceux qu'on retrouve le plus fréquemment sur les icônes, les fresques et les miniatures byzantines.

Expansion du phénomène des stylites

Il est difficile d'estimer, même approximativement, le nombre total de stylites qui vécurent dans le Proche-Orient à partir du IVe siècle. Historiquement parlant le phénomène débute au Ve siècle et dure jusqu'au XIIe siècle et au-delà puisqu'on trouve, à cette date, des stylites en Géorgie, en Arménie, en Asie Mineure (près d'Ephèse) [par exemple le stylite St Luc au IXe s.] et en Grèce au mont Athos (où il existait encore des stylites au XVIe siècle).
-----> Mont Athos, cf. [#][#
 

Le mont Athos semble être l'extrême limite occidentale de diffusion du stylitisme, mais, vers l'Est, il s'étendit très loin, à Edesse et jusqu'à Ctésiphon. [...] Il suffit d'un seul stylite dans une région pour qu'aussitôt les foules s'assemblent, que les témoignages affluent et qu'un auteur quelconque - généralement le disciple du stylite ou l'évêque de la région - en écrive la Vie. Il ne semble pas, en tout cas, que le nombre total des stylites en Orient ait jamais dépassé quelques centaines. [...] 

Un document du Xe siècle, attribué à un moine du nom d'Epiphane, mentionne à Gethsémani - en Palestine - une curieuse colonie de cent stylites, véritable forêt de colonnes, réunie autour d'un supérieur ! En général, les stylites s'installaient toujours dans un endroit désert - au sommet d'une colline, d'une montagne - mais à proximité d'une ville ou d'un village. En dehors de ses visiteurs habituels et des pélerins de passage, le stylite a pour le servir et veiller à sa nourriture un disciple - souvent un très jeune garçon - qui demeure au pied de la colonne. Mais si par malheur le disciple s'absente et que nul voyageur ne passe à proximité, le stylite n'a plus qu'à s'en remettre au Ciel. Ainsi saint Paul de Latres - dont le disciple partit un mois entier pour faire la moisson - faillit mourir de faim et fut ranimé in extremis par un voyageur de passage (... les documents figurés sur les stylites montrent presque tous une échelle appuyée contre la colonne et permettant de gagner la plate-forme où vit l'ascète.) [...]

Signalons enfin une ascèse dérivée du stylitisme - mais qui fut beaucoup plus rare - et qu'on pourrait appeler le dendritisme. Le dendristisme (du gec dendros : arbre) consistait à vivre immobile sur un arbre

-----> suite : le dendritisme, cf. article suivant [#]

[fin de citation] ////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////
Autres extraits du même ouvrage, Les Hommes ivres de Dieu (1975) :
chap. XII LE PENDV : Les dendrites, reclus dans les arbres [#]
chap. La symbolique : Symboles des ermites du désert selon Cassien [#]

Extraits d'un autre ouvrage, L'Eté grec (1976) :
[#] [SAINTS CAVALIERS] Saints militaires byzantins (cartes de Cavaliers)
[#]Le Théâtre d'ombres grec, syncrétisme visuel (carte VII Le Chariot)
[#]1952, Athos : rencontre de l'ermite Nikône (carte VIIII L'ERMITE)
[#] [BARBE] [CHEVEUX LONGS] au Mont Athos (carte VIIII L'ERMITE)
[#]
[#] [LAMPE] Arrivée par bateau dans la nuit (carte VIIII L'ERMITE)
[#] [SQUELETTE] Preuve de pureté (carte XIII)
[#Le moine fou - (carte XV LE DIABLE)
[#Liturgies de nuit à Athos - (carte XVIII LA LVNE)
[#]
Soleil intense en Argolide (carte XVIIII LE SOLEIL)

 

L  I  E  N  S 

 

L'AUTEUR DU TEXTE :
Jacques Lacarrière  (1925-2005) : fr.wikipedia.org/wiki/Jacques_Lacarri%C3%A8re_(%C3%A9crivain)
Association des Amis de l'écrivain : www.cheminsfaisant.org/content/index.php

PERSONNAGES CITES :
Stylitisme : fr.wikipedia.org/wiki/Stylite
étymologie : www.cnrtl.fr/definition/stylite
Lucien de Samosate (125-192) : bcs.fltr.ucl.ac.be/FE/08/Lucien.html
Theodoret de Cyr : fr.wikipedia.org/wiki/Th%C3%A9odoret_de_Cyr
Saint Syméon le stylite (l'Ancien) : fr.wikipedia.org/wiki/Sim%C3%A9on_le_Stylite
Basilique de saint Syméon l'Ancien (photos) : www.galenfrysinger.com/st_simeon_syria.htm
Saint Syméon le Jeune : www.istanbulguide.net/insolite/info/francais/turquie_occidentale/antioche/st-simeon.htm

LIEUX MENTIONNES :
Fouilles du monastère en 1948 : www.persee.fr/renderPage/crai_0065-0536_1948_num_92_3_78282/0/710/crai_0065-0536_1948_num_92_3_T1_0323_0000.jpg
Basilique de saint Syméon l'Ancien (photos) : www.galenfrysinger.com/st_simeon_syria.htm

POUR ALLER PLUS LOIN :
Un écrit d'un stylite syriaque :
fr.wikipedia.org/wiki/Josu%C3%A9_le_Stylite
Philippe Henne, moine dominicain : « Le vertige divin. La saga des stylites », Paris, éditions du Cerf, 2014, 311 p.

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