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\\\\\\\\ Le . monde . des . tarots . anciens
30 mars 2011

Femmes, pouvoir, Moyen Age

carte III L'IMPERATRICE (Sommaire) [#]
voir aussi : Mathilde de Toscane [#]

Sylvain Gouguenheim : "Regards sur le Moyen Age", Taillandier 2009
chapitre 10 : Ces femmes qui eurent le pouvoir (Xe-XIVe siècles)
[extraits] \\\\\\\\\\\\\\\\\\\\\\\\\\\\\\\\\\\\\\\\\\\\\\\\\\\\\\\\\\\\\\\\\\\\\\\\\\\\\\\\\\\\\\\\\
Aliénor d'Aquitaine, Blanche de Castille, d'autres moins célèbres, commandèrent à des territoires et à des hommes. La condition féminine n'était pas un obstacle insurmontable et les cas sont suffisamment nombreux pour que l'on ne puisse les expliquer uniquement par le hasard : les structures sociales et politiques du temps permettaient, voire impliquaient, une prise en charge des destinées publiques par des femmes. Impératrices, reines, régentes, aristocrates, abbesses : plusieurs fonctions permettaient d'exercer le pouvoir.

Les assises du pouvoir

Meissner_dom_stifterLe pouvoir appartient aux nobles. Celui que les femmes détiennent suit les règles de la puissance aristocratique et repose sur les ascendants, le mariage, les biens et les réseaux de fidélité. Les stratégies matrimoniales incitaient à prendre épouse parmi les familles alliées, de rang égal ou, si possible, supérieur.


L'Impératrice Adélaïde et l'empereur Otton Ier, ca 1265, Cathédrale de Meissen (Saxe), BRD
(c) Cornelia Gläser, 2004. Source : www.slm.uni-hamburg.de/ifg1/Personal/Henkel/Seminarmaterial/Boese-Frauen-Bilder/1-Slide-Historische-Frauen/Seiten/002Kaiserin-Adelheid-1265.htm

Là se situe la première fonction politique des femmes, encore passive : conforter les alliances et créer de nouvelles solidarités. Elles renforçaient ainsi la position de certaines lignées, contribuaient également par leur mariage à prévenir ou résoudre les conflits. Ce processus rappelle "l'échange des femmes", phénomène bien mis en valeur par les ethnologues.

Lorsque, à partir du Xe siècle, les familles aristocratiques se constituent en lignages et que se répand l'usage de la dot directe du père à la fille, le mariage devient un enjeu social et politique de première importance. Le pouvoir féminin s'exerce donc dans la sphère des relations privées, mais débouche aussitôt dans le domaine public, puisque les liens familiaux sont au coeur de la politique. Emma Ière fut, selon Flodoard et Glaber, la meilleure alliée de son mari, le roi de Francie Raoul de Bourgogne (923-936), grâce à ses réseaux et au soutien de son frère Hugues le Grand.

Les dots des épouses royales représentent une base considérable de leur puissance. On peut accroître la dot initiale, ce que fait Henri Ier l'Oiseleur en donnant à Mathilde, vingt ans après leur mariage, plusieurs riches abbayes, dont Quedlinburg, Pöhlde et Nordhausen. Détenant des biens fiscaux, la reine est donc investie d'une part de la puissance publique. Cette dot permet aussi de créer liens de fidélité et réseaux. Quand Otton Ier épousa Adélaïde d'Italie, il lui offrit un vaste douaire dispersé entre Franconie, Thuringe et Saxe. De même, [l'impératrice] Theophano reçut d'Otton Ier (973-983) des biens très importants : l'Istrie, l'abbaye de Nivelles et ses 14 000 manses, les domaines impériaux de Boppard, Thiel, Hereford, Nordhausen, puis dans les années suivantes des biens en Thuringe et en Saxe. La dispersion dans plusieurs royaumes n'est pas source de faiblesse; au contraire, elle donne à chacune de ces femmes les moyens de gouverner au sein de tout l'espace public. En revanche, en Francie occidentale, les douaires, plus faibles, sont plus concentrés et la reine a donc moins de pouvoir territorial qu'en Allemagne. [...]

002Kaiserin_Adelheid_1265Autre élément de pouvoir : le contrôle de la mémoire de la dynastie. Les reines utilisèrent souvent une part de leur douaire à cette fin. En 991, l'impératrice Adélaïde fonde, pour le salut de sa famille, le monastère de Seltz en Alsace, sur des terres qui lui avaient été données en 968 par Otton Ier. [...] les abbayes de Quedlinburg et Gandersheim, placées sous protection royale, restent des monastères familiaux, dirigés par des princesses ottoniennes qui, en tant qu'abbesses, jouent un rôle politique de premier plan. Là encore, en Francie occidentale, le phénomène n'existe pas. [...]

L'Impératrice Adélaïde, ca 1265
Cathédrale de Meissen (Saxe), BRD

(c) Cornelia Gläser, 2004
source : www.slm.uni-hamburg.de/ifg1/Personal/Henkel/Seminarmaterial/Boese-Frauen-Bilder/1-Slide-Historische-Frauen/Seiten/002Kaiserin-Adelheid-1265.htm

 

Le droit de régner

Rien n'interdit à une femme de régner, en compagnie de son époux ou de son fils, voire seule. Aucun texte juridique ne s'y oppose. L'histoire de la loi salique, souvent évoquée à ce propos, est celle d'un détournement volontaire du texte, lié à des circonstances précises. Cette loi, qui est antérieure à Clovis, stipulait que les femmes pouvaient hériter des terres familiales, mais étaient exclues de l'héritage de la "terre salique", expression vague, désignant peut-être des terres soumises à un régime militaire particulier et qui, de toute façon, ne concernait pas l'ensemble du royaume franc. Pourtant, en 1316, les légistes affirmèrent que les filles étaient exclues de la succession royale de France : il s'agissait d'empêcher le trône d'échoir à la fille de Louis X, Jeanne de Navarre, afin de le transférer à Philippe V le Long. Le problème se représenta à la mort de Charles IV, en 1328, et il semble qu'à cette occasion, la loi salique fut invoquée pour écarter sa soeur Isabelle, femme d'Edouard II, roi d'Angleterre. Nul n'ignorait pourtant que des femmes avaient déjà occupé le trône de France et que d'autres avaient assumé avec succès la charge des destinées d'un comté ou d'un duché.

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La formation, à partir du Xe siècle, du couple eut sa traduction politique et, d'abord, économique : les épouses étaient associées à la gestion du patrimoine commun. Elles étaient responsables du consortium conjugal, devaient "foi et conseil" à leur époux, ce qui impliquait un rôle actif. L'épouse est donc seigneur autant que son mari, ou peu s'en faut. Systématiquement, on requiert le consentement de la domina en cas de cession d'une partie du patrimoine. Ainsi, l'ensemble des biens du couple royal était géré comme celui de tout couple aristocratique : la reine participe à la gestion des biens du domaine, elle collabore à la direction du royaume.

Le titre de reine correspond en outre à une fonction réelle. Pépin le Bref l'affirma lorsqu'en 754, à Saint-Denis, il se fit sacrer pour la seconde fois. Son épouse, Berthe, "revêtue des ornements royaux", fut également bénie par le pape. Reine, elle participe à la sacralité du pouvoir. L'onction, d'origine divine, la fait, au même titre que son mari, détentrice de l'autorité[...]

-----> sur le sacre des rois et empereurs, cf [#]


Couronnement d'Otton II et de Theophano
plaque de reliure, ivoire, 982-983
Paris, Musée du Moyen Age
fr.wikipedia.org/

 

Une souveraine peut également exercer une influence internationale. Ce fut le cas de Gerberge. En 929, cette soeur d'Otton le Grand épouse le duc Gislebert de Lorraine. Le mariage, voulu par son père le roi Henri l'Oiseleur, permettait de rattacher la Lorraine au royaume d'Allemagne. En 939 son mari se révolte contre Otton, rêvant de créer un royaume de Lotharingie. Gerberge le soutient contre son propre frère. Après la mort au combat de Gislebert, elle est enlevée par le roi de France, Louis IV, qui l'épouse. La voilà reine. On la trouve alors mêlée aux luttes politiques de son temps : elle aide son époux contre le puissant Hugues le Grand, père d'Hugues Capet.[...] A partir de 942, elle appuie la réconciliation entre Louis IV et Otton. [...] C'est par elle, entre autres, que la France rentre dans l'orbite des puissants souverains germaniques. Reine à part entière, consors regni, son épitaphe se trouve à St Rémi de Reims, au coeur de la Francie occidentale. 

Ce droit de régner explique les régences exercées par des femmes.

Celle de Blanche, la mère de Saint Louis, retient l'attention. Originaire de Castille, elle n'avait, écrit Joinville, "ni parents, ni amis dans tout le royaume". Elle tint pourtant celui-ci fermement, assistée par les conseillers de son mari, et manoeuvra à plusieurs reprises avec grande habileté. Elle sut négocier le traité de Meaux de 1229, qui rétablissait la paix dans le Toulousain, se débarrassant du poids d'une guerre qui pouvait se révéler fatale. On la vit même organiser le rassemblement des chevaliers du domaine royal, pour dégager son fils reclus dans la tour de Montlhéry par crainte des barons révoltés (été 1227). Face aux barons, elle obtint le concours des villes de Normandie, Picardie et Artois, qui lui prêtèrent serment. Bien que son fils Louis fût à la tête de l'armée royale, c'est Blanche qui gouvernait. C'est à elle que le pape écrit directement et c'est elle que les trouvères du comte de Champagne prennent pour cible, l'accusant d'usurper le pouvoir. Elle était bien reine et son fils n'hésita pas à lui confier la charge du royaume lorsqu'il partit en croisade, en 1248. Lors de cette seconde régence, interrompue par la mort en novembre 1252, elle maîtrisa la révolte des Pastoureaux, et prit possession, pour son fils Alphonse, du comté de Toulouse.

Dans les rangs de la noblesse, personne ne voyait à redire au fait qu'une femme tienne le trône de France. En Europe du Nord, le phénomène va encore plus loin : en 1388, la reine Marguerite de Suède fut désignée dans les royaumes de Danemark, Norvège et Suède comme "dame toute-puissante et seigneur légitime" et réunit sous son gouvernement les trois royaumes. [...]

Les signes de pouvoir

Aristocrates, les femmes disposent des mêmes signes extérieurs de pouvoir que les hommes de leur lignée. Les reines ont leur propre couronne, des comtesses disposent aux XIIe ou XIIIe siècles de leur propre sceau; en Morée franque, au début du XIVe siècle, la princesse Isabelle de Villehardouin frappe des monnaies à son nom.

Elles portent alors les titres de leur mari. Dans le midi de la France celui de "comtesse" apparaît en 865 pour la veuve de Raymond Ier de Toulouse. A la fin du IXe siècle, ce titre est de plus en plus fréquent dans les textes législatifs édictés par les autorités princières du Nord du royaume. La veuve d'Hugues Capet, Hadwige de Saxe, le porte jusqu'à sa mort. Au Xe siècle, on dit des comtesses qu'elles sont comitissa "par la grâce de Dieu", donc non en tant qu'épouse du comte, mais par désignation divine. Cela correspond à un renforcement du principe dynastique [...]


L'entrevue de l'empereur Henri IV avec Hugues de Cluny et Mathilde de Canossa,
Miniature ca 1115, Biblioteca Apostolica Vaticana, Vat. lat. 4922
Source : perstorie-eieten.blogspot.com/2010/03/quando-si-va-ad-esaminare-la-figura.html

enrico_IV_imperatore_sacro_romano_impero_con_matilde_di_canossa_e_abate_ugo_di_cluny_01En Italie, au début du XIIe siècle, la princesse Mathilde (morte en 1115) compte parmi les grands de la péninsule. Elle dirige un immense espace allant de la Toscane à Mantoue. Obligée d'exercer un rôle politique, alors qu'elle rêvait, jeune fille, de se retirer dans un monastère [...] elle épouse la cause pontificale. C'est dans l'un de ses châteaux, à Canossa, que trouva refuge Grégoire VII au plus fort de la querelle des Investitures. Cousine, assez lointaine, de l'empereur, elle accepta de jouer un rôle diplomatique entre les deux puissances universelles et fut ainsi à l'origine de l'humiliante pénitence des 25-28 janvier 1077, à l'issue de laquelle le pape leva l'excommunication qui frappait [l'empereur] Henri IV. Aux yeux des réformateurs grégoriens, Mathilde réincarnait les reines de l'Ancien Testament, Judith, Deborah ou Esther. Le pouvoir des femmes avait aussi des racines bibliques.

-----> cf. dans le blog "Mathilde de Toscane" [#]

Ces femmes ne vivent pas enfermées. Le pouvoir est alors itinérant et, aux voyages qu'impose leur fonction, les reines ajoutèrent des missions spéciales, des ambassades où leur sont confiées de délicates missions. En août 988, Hugues Capet propose à [l'impératrice] Théophano, qui dirige l'Empire allemand, d'envoyer sa femme Adélaïde pour négocier. Les reines sont des pièces maîtresses de l'échiquier politique et leurs voyages des instruments de pouvoir ritualisés. [...] Elles voyagent avec leur propre suite armée, qui manifeste et assure leur supériorité. [...] En 980, Emma II est à Margut-sur-Cher lors de la rencontre entre Otton II et son mari Lothaire (954-986), preuve que la puissance royale s'exprime à travers le couple dynastique. Certaines participent même aux expéditions militaires; en 927, Emma Ière assiste son mari au siège de Laon. Après la prise de la ville, le roi lui en confie la garde. En 933, c'est encore à elle que prête hommage Walon, gardien de Château-Thierry. En 984, Lothaire transfère à Emma II la ville de Verdun. La reine commande à des garnisons et reçoit l'hommage des grands placés sous son autorité. [...]

Certaines prennent, lorsqu'elles sont au pouvoir, des titres masculins.[...]

Béatrice de Lorraine, soeur d'Hugues Capet, cousine des Ottoniens et des Carolingiens, était apparentée à toutes les familles royales du monde franc. Elle a beaucoup fait pour l'élection d'Hugues sur le trône de Francie occidentale en 987. Mariée à Frédéric, duc de Haute-Lotharingie, elle gouverna le duché après la mort de son époux en 963. Vingt ans plus tard, elle fit partie de ceux qui aidèrent l'impératrice Théophano à conserver le pouvoir, résistant au duc de Bavière Henri le Querelleur. Le jeune Otton III lui doit donc en partie son trône et il n'est pas exagéré de voir en elle une "faiseuse de rois". Cette femme énergique, ambitieuse et infatigable, portait le titre de dux et non de ducissa

A la même époque, introduisant en Europe les moeurs politiques et la culture byzantine, la princesse Théophano gouverna avec son époux Otton II, qui la qualifia plusieurs fois de coimperatrix. Après le décès de celui-ci en 983, elle présida, jusqu'à sa mort en 991, aux destinées de l'Empire au nom de leur fils Otton III. Elle figure systématiquement au bas des diplômes émis par la chancellerie impériale et délivre même deux actes en son nom en 990; dans le second, daté de ses propres années de règne, elle se qualifie de Theophanius gratia divina imperator augustus, usant donc d'un terme masculin et ayant en outre "masculinisé" son prénom ... [...]

[fin de l'extrait] //////////////////////////////////////////////////////////////////
Même ouvrage, autres extraits :
[#] La Légende de l'empereur Charlemagne (carte IV L'Empereur)
[#Le sacre des rois et des empereurs (carte IV L'Empereur)
[#]
Les Tours, premiers châteaux forts (carte XVI Maison Dieu)

Sur le même thème, voir aussi dans le blog :
[#] Le droit de la femme mariée (carte VIII Justice)
[#] "L'Impératrice Agnès" (carte III L'Impératrice)
[#] "Mathilde de Toscane" (carte III L'Impératrice)
pour la Renaissance : [#] Régence féminine (1) et (2) [#] (carte III L'Impératrice)

 

L  I  E  N  S

PERSONNAGES :
Impératrice Adélaïde de Bourgogne (ca931-999), épouse de l'Empereur Otton Ier :

http://seltzparoisse.free.fr/imperatrice.htm 
http://fr.wikipedia.org/wiki/Fichier:Adelheid_von_Burgund.jpg 
Impératrice Theophano (ca 955 -991), épouse de l'Empereur Otton II :
http://fr.wikipedia.org/wiki/Th%C3%A9ophano_Skleraina
http://fr.wikipedia.org/wiki/Otton_II_du_Saint-Empire
http://fr.wikipedia.org/wiki/Otton_III_du_Saint-EmpireMathilde de Toscane : http://www.newadvent.org/cathen/10049b.htm
le pape Grégoire VII : http://www.newadvent.org/cathen/06791c.htm

CONTEXTE HISTORIQUE :
http://fr.wikipedia.org/wiki/Loi_salique
http://fr.wikipedia.org/wiki/Blanche_de_Castille
http://www.histoire-fr.com/germanie_et_eglise_querelle_des_investitures.htm

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