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\\\\\\\\ Le . monde . des . tarots . anciens
6 avril 2011

Inconstance de Fortune au XVe

 Carte X ROVE DE FORTVNE[#]

Johan HUIZINGA : L'Automne du Moyen Age, coll. "Le Regard de l'Histoire", Payot, 1975
précédé d'un entretien avec Jacques Le Goff
(Herfsttijder Middeleween, Harlem 1919 - Le déclin du Moyen Age, Payot 1932)
[extrait] ////////////////////////////////////////////////////////////////////////
pp. 19-22

Vers la fin du XIVe siècle et le commencement du XVe, le théâtre politique des royaumes d'Europe était si rempli de conflits violents et tragiques, que le peuple ne pouvait s'empêcher de considérer la royauté comme une succession d'événements sanguinaires ou romanesques.

  • Pendant le mois de septembre 1399, le parlement anglais se réunit à Westminster pour apprendre que le roi Richard II vaincu et fait prisonnier par son neveu de Lancastre, a renoncé à la couronne; en ce même mois, à Mayence, les électeurs sont réunis pour déposer leur roi, Wenceslas de Luxembourg, aussi irrésolu, aussi capricieux, aussi incapable de régner que son beau-frère d'Angleterre, mais à la destinée moins tragique. Wenceslas, en effet, demeura de longues années encore roi de Bohême; quant à Richard, après son abdication, il fut tué secrètement dans sa prison, et ce meurtre rappelle celui de son arrière-grand-père, soixante-dix ans auparavant [...].
  • Sur le trône de France règne un dément, Charles VI; bientôt le pays entier sera déchiré par la guerre civile. En 1407, la rivalité des maisons d'Orléans et de Bourgogne devient une hostilité publique : Louis d'Orléans, frère du roi, tombe sous les coups de meurtriers loués par son cousin, Jean sans Peur. Douze ans plus tard, la vengeance : en 1419, Jean sans Peur, dans une entrevue solennelle sur le pont de Montereau, est tué traîtreusement [cf. le chroniqueur Philippe de Commynes ici]. Ces deux assassinats, avec leur suite de vengeances et de combats, ont donné à l'histoire de France, pendant tout un siècle, les sombres couleurs de la haine. [...]

  • A ces maux s'ajoutait le péril turc, toujours grandissant.

    Quelques années auparavant, en 1396, les Turcs avaient anéanti à Nicopolis la magnifique chevalerie française, témérairement lancée par Jean de Bourgogne, alors comte de Nevers.

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Bataille de Nicopolis,
miniature folio 253v (Fr MS 5594, BnF)

Sébastien Mamerot, "Les passages d’Outre-Mer", chronique des croisades jusqu’en 1462 enluminée par Jean Colombe, ca 1474
www.flickr.com/photos/renzodionigi/4061534962/

 

 

 

 

 

  • Enfin, la chrétienté était déchirée par le grand schisme, qui durait depuis un quart de siècle : deux papes soutenus chacun passionnément par une partie des pays d'Occident. Et bientôt, quand le concile de Pise, en 1409, aura avorté dans son effort pour rétablir l'unité de l'Eglise, trois personnes se disputeront la papauté. "Le Pape de la Lune", ainsi appelait-on couramment en France l'Aragonais obstiné, Pierre de Luna, qui se maintenait à Avignon sous le nom de Benoît XIII. Quels songes ce nom de Pape de la Lune n'a-t-il pas du évoquer chez le peuple ignorant ?

Dans les cours princières erraient maints rois détrônés, la plupart maigres de ressources et gros de projets, revêtus de l'éclat de ce merveilleux Orient d'où ils venaient : Arménie, Chypre, bientôt Constantinople; et chacun d'eux semblait un personnage de la représentation familière de la roue de Fortune d'où sont précipités les rois avec leurs couronnes et leurs sceptres.

 


Ce n'est pas à cette lignée qu'appartenait 22F0C6_1René d'Anjou, bien qu'il fût, lui aussi, un roi sans couronne. Il était mieux loti, dans ses riches possessions d'Anjou et de Provence. Et toutefois, il personnifiait, lui aussi, l'inconstance de la fortune, ce prince de la maison de France, qui avait raté les plus grandes chances, avait aspiré aux trônes de Hongrie, de Sicile et de Jérusalem, et n'avait trouvé que défaites, longs emprisonnements et fuites périlleuses.

René d'Anjou et ses troupes
miniature des "
Vigiles de Charles VII"
Martial d'Auvergne (XVe s.)

Le roi-poète sans trône se distrayait, par la pastorale et la miniature, des cruautés de sa destinée. Il avait vu mourir presque tous ses enfants, et la seule fille qui lui fût restée eut un sort plus sombre encore que le sien.

 

Vigiles_du_roi_Charles_VII_15Le Mariage de Marguerite d'Anjou
miniature des "Vigiles de Charles VII",  XVe s.

Passionnée, pleine d'esprit et d'ambition, Marguerite d'Anjou avait, à l'âge de seize ans, épousé un simple d'esprit, Henri VI, roi d'Angleterre. La cour était un enfer d'inimitié. Nulle part plus qu'en Angleterre n'étaient liés à la politique, la méfiance à l'égard de la famille royale, les plaintes contre les puissants serviteurs de la couronne, les meurtres secrets ou publics accomplis soit par mesure de sécurité, soit par cabale. Marguerite avait déjà vécu de nombreuses années dans ce milieu de persécutions et d'angoisse, lorsque la querelle entre York et Lancastre, maison de son époux, devint une sanglante guerre civile. Alors Marguerite perdit trône et possessions.

Les alternatives de la guerre des Deux-Roses lui avaient fait connaître de terribles dangers et la plus amère détresse. Réfugiée à la cour de Bourgogne, elle fit de vive voix à Chastellain, chroniqueur de la cour, le récit émouvant de ses aventures : comment elle avait dû s'en remettre avec son jeune fils, à la merci d'un brigand; comment, pour donner son offrande à la messe, elle avait demandé un denier à un archer écossais "qui demy à dur et à regret luy tira un gros d'Ecosse de sa bourse et le luy prêta".

 

 

Le brave historiographe, ému de tant d'infortunes, 1490_1500_20Charles_20d_Orleans_20_20prisonnier_20dans_20la_20Tour_20de_20Londres_20Charles_20d_Orleans_20Poemeslui dédia, en guise de consolations, le Temple de Boccace, "aucun petit traité de fortune, prenant pied sur son inconstance et déceveuse nature". Selon les recettes du temps, il pensait ne pouvoir mieux consoler l'infortunée fille de roi qu'en faisant défiler devant elle une sombre galerie de malheurs princiers.

Mais ils ignoraient, lui et elle, que le pire était encore à venir : les Lancastre battus définitivement à Tewskebury, en 1471, son fils unique tombé dans le combat ou bien tué plus tard, son mari secrètement assassiné, elle-même emprisonnée pendant cinq ans dans la Tour de Londres [cf. miniature ci-contre] pour être enfin vendue par Edouard IV à Louis XI, à qui, en retour de sa libération, elle dut laisser l'héritage paternel. 

 

Si les enfants des rois avaient de tels destins, est-il étonnant de voir les bourgeois de Paris ajouter foi  aux récits de royaumes perdus et de bannissements par lesquels des vagabonds cherchaient à exciter l'intérêt et la compassion ?

En 1427, une troupe de tziganes apparut à Paris, qui se faisaient passer pour des pénitents, "ung duc et ung comte et dix hommes tous à cheval". Ils venaient d'Egypte, le pape leur avait ordonné, en raison de leur dissidence, d'errer pendant sept ans sans coucher dans un lit. D'abord au nombre de douze cents, ils avaient perdu en chemin leur roi, leur reine, et plusieurs des leurs. Comme unique consolation, le pape avait enjoint que tout évêque et tout abbé leur donnât dix livres tournois. Les Parisiens venaient en foule voir ces étrangers, se faisaient lire les lignes de la main par les femmes, expertes à leur soutirer de l'argent, "par art magicque ou autrement". ("Journal d'un Bourgeois de Paris", éd. A. Tuetey, publ. de la Soc. de l'histoire de Paris, Doc. n°3, 1881, p. 219)

[fin de l'extrait] ///////////////////////////////////////////////////////////////////
Même ouvrage, autres extraits cités dans le blog :
[CLOCHETTES] L'amour de ce qui brille [#] (Habillement)
[COULEURS] Le Blason des Couleurs au XVe s. [#] (chapitre La Symbolique)
Louis XI, St François de Paule et Denis Le Chartreux [#] (carte L'Ermite)
Même thème, d'un autre auteur : Mouvement perpétuel dans la ville du Moyen Age [#]


L  I  E  N  S

La Renaissance : www.larousse.fr/encyclopedie/divers/Renaissance/184289

Chronique de Philippe de Commynes sur le règne de Louis XI (texte en ligne) :
users.skynet.be/antoine.mechelynck/chroniq/comm/C4_09.htm#C409_07_01

Edouard IV, roi d'Angleterre : fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89douard_IV_d%27Angleterre
Georges Chastellain, historiographe : fr.wikipedia.org/wiki/Georges_Chastelain
Henri VI, roi d'Angleterre :
fr.wikipedia.org/wiki/Henri_VI_d'Angleterre
Louis Ier d'Orléans (1372-1407) : fr.wikipedia.org/wiki/Louis_Ier_d'Orl%C3%A9ans
Marguerite d'Anjou (1429-1482), fille du roi René, reine d'Angleterre :
fr.wikipedia.org/wiki/Marguerite_d'Anjou_(1429-1482)
Pierre de la Luna (antipape Benoît XIII) :
www.mediterranees.net/biographies/capeille/luna.html
René d'Anjou (1409-1480) : www.herodote.net/histoire/synthese.php?ID=376
Richard II d'Angleterre (1367-1400) : fr.wikipedia.org/wiki/Richard_II_d%27Angleterre

ILLUSTRATIONS :

 

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