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\\\\\\\\ Le . monde . des . tarots . anciens
8 avril 2011

Les princes et les saints

Au XVe siècle, rois et princes fréquentent les saints et les ermites de fort près ...

Carte VIIII L'HERMITE [#]

Johan Huizinga : L'Automne du Moyen Age, Payot, 1975
précédé d'un entretien avec Jacques Le Goff, coll. "Le Regard de l'Histoire"
(Herfsttijder Middeleween, Harlem 1919 - Le déclin du Moyen Age, Payot 1932)
[extrait pp. 193-195] //////////////////////////////////////////////////////////////////

Pour illustrer le commerce des princes avec les saints, il importe de parler du séjour de St François de Paule à la cour de Louis XI. On connaît assez le type très curieux de la dévotion de ce roi "qui achetoit la grâce de Dieu et de la Vierge Marie à plus grands deniers que oncques ne fit roy" (La Marche, I, p. 180). Cette dévotion nous reporte en plein fétichisme. Sa passion pour les reliques, pour les pélerinages et les processions semble dépourvue d'élévation et de réserve respectueuse. Il traitait les objets sacrés comme des médicaments. Il fait venir à Nantes la croix de Saint Laud d'Angers, pour faire serment (Lettres de Louis XI, t. VI, p. 514), car un serment sur la croix de saint Laud avait pour lui une plus grande valeur. Quand le connétable de saint Pol, appelé en présence du roi, le supplie de lui jurer sa sécurité sur la croix de saint Laud, le roi répond : n'importe quel serment, mais pas celui-là. (Commines, I, p. 291). Aux approches d'une fin très redoutée, il se fait envoyer de toutes parts les plus précieuses reliques; le pape envoie, entre autres, le caporal de saint Pierre; le grand Turc même offre une collection de reliques qui se trouvaient encore à Constantinople. Le dressoir à côté de son lit porte la sainte Ampoule, qui auparavant n'avait jamais quitté Reims. [...] Ce sont là des traits de dévotion dignes des rois mérovingiens. Sa passion de collectionneur a pour objet les reliques précieuses aussi bien que les animaux étranges : rennes ou élans. Il correspond avec Laurent de Médicis au sujet de l'anneau de saint Zanobi, un saint florentin [...] A son château de Plessis-les-Tours, les dévots se mêlent aux musiciens.

"Oudit temps le roy fist venir grant nombre et grand quantité de joueurs de bas et doulx instrumens, qu'il fist logger à Saint-Cosme près de Tours, où illec ilz se assemblèrent jusques aunombre de six vingt, entre lesquelz yvint pluseurs bergiers du pays du Poictou. Souvent jouèrent devant le logis duroy, mais ilz ne le veoyent pas, affin que ausdiz instrumens le roy y prensist plaisir et passetemps et pour le garder de dormir. Et d'un autre côté, y fist aussy venir grant nombre de bigotz, bigottes et gens de devocion comme hermites et sainctes créatures, pour sans cesse prier à Dieu qu'il permist qu'il ne mourust point et qu'il le laissast encores vivre".  (Chronique scandaleuse II, p. 122)

Saint François de Paule, l'ermite calabrais qui surpassa en humilité les frères mineurs en fondant l'ordre des Minimes, fut littéralement une acquisition du roi collectionneur. C'est avec l'intention expresse que le saint, par ses prières, prolongerait sa vie, que le roi le fait venir pendant sa dernière maladie. (Commines II p. 55, 77) Après avoir échoué auprès du roi de Naples, la diplomatie de Louis XI réussit à s'assurer, par l'intermédiaire du pape, la venue de l'homme miraculeux. Une escorte de nobles l'amène d'Italie, à son corps défendant (Acta Sanctorum, avril, t. I, p. 115 - Lettres de Louis XI, t. X, p. 76, 90). Une fois l'ermite arrivé, Louis XI ne se sent pas encore en confiance "parce qu'il a été trompé par plusieurs, sous prétexte de sainteté". A l'instigation de son médecin, il fait espionner l'homme de Dieu, et lui fait prouver sa vertu de plusieurs manières. (Acta sanctorum I. c.). Le saint sort victorieux de toutes ces épreuves. Son ascétisme est de l'espèce la plus barbare et fait songer aux saints du Xe siècle : saint Nil et saint Romuald [#]. Il s'enfuit à la vue d'une femme. Jamais il n'a touché, depuis sa jeunesse, une pièce de monnaie. Il dort le plus souvent debout ou appuyé, il laisse croître ses cheveux et sa barbe. Il ne prend pas de nourriture animale et n'accepte que des racines (Acta Sanctorum, I.c., p.108; Commines, II, p. 55). Dans les derniers mois de sa vie, le roi malade écrit personnellement, pour procurer à son saint la nourriture adéquate : "Monsieur de Genas je vous prie de m'envoyer des citrons et des oranges douces et des poires muscadelles et des pastenargues, et c'est pour le saint homme qui ne mange ny chair ny poisson; et vous me ferés ung fort grant plaisir." (Lettres, X, p. 124, 29 juin 1483). Il ne l'appelle que le "saint homme" si bien que Commines qui a vu le saint différentes fois, semble ne pas avoir su son nom. Mais les moqueurs et les soupçonneux, comme le médecin Jacques Coitier, l'appellent aussi le "saint homme". Les communications de Commines sont empreintes d'une réserve prudente : "Il est encore vif, conclut-il - par quoy se pourroit bien changer ou en mieulx ou en pis, par quoy me tays, pour ce que plusieurs se mocquoient de la venue de ce hermite, qu'ilz appelaient "saint homme" ". Il déclare toutefois n'avoir jamais vu d'homme "de si saincte vie, ne où semblast myeulx que le saint Esperit parlast par sa bouche". Les savants théologiens de Paris, Jean Standonck et Jean Quentin, venus pour parler au saint au sujet de la fondation d'un couvent de Minimes à Paris, retournent pleins d'admiration.
-----> St Romuald, ermite et fondateur des Camaldules [#]
------> vie ascétique des ermites [
#]
------> la rencontre Louis XI/St François de Paule racontée par Jean Favier [
#]

 

L'intérêt que portent les ducs de Bourgogne aux saints contemporains est d'une nature moins égoïste que celui de Louis XI pour saint François de Paule. Il est remarquable de voir les grands visionnaires et les ascètes faire figure de médiateurs et de conseillers dans les affaires politiques. C'est le cas pour sainte Colette et pour le bienheureux Denis de Ryckel surnommé le Chartreux. Colette est tenue spécialement en honneur par la maison de Bourgogne; Philippe le Bon et sa mère Marguerite de Bavière la connaissent personnellement; elle agit comme médiatrice dans les différends entre les maisons de France, de Savoie et de Bourgogne. Charles le Téméraire, Marie et Maximilien, Marguerite d'Autriche, ne cessent d'insister pour obtenir sa canonisation (Doutrepont, p.226). Plus important encore a été le rôle joué par Denis le Chartreux dans les affaires publiques de son temps. Lui aussi se trouve en relations fréquentes avec la maison de Bourgogne et sert de conseiller à Philippe le Bon. Il est reçu en 1451 par le duc à Bruxelles, en même temps que le cardinal Nicolas de Cusa qu'il accompagne et assiste dans son célèbre voyage à travers l'Empire d'Allemagne. Obsédé par la crainte d'imminentes catastrophes, Denis demande dans une vision : "Seigneur, les Turcs viendront-ils à Rome?" Il pousse le duc à la croisade. [...] Le Téméraire travailla avec Denis à la fondation des Chartreux à Bois-le-Duc, en l'honneur de sainte Sophie de Constantinople, que le duc prend pour une sainte, tandis qu'elle signifie en réalité la Sagesse éternelle. Le duc Arnold de Gueldre demande conseil à Denis dans son conflit avec son fils Adolphe. Nombre de gentilhommes, de clercs et de bourgeois viennent le consulter dans sa cellule à Ruremonde [chartreuse des Pays-Bas] où il ne cesse de résoudre doutes, difficultés et cas de conscience.

 

Petrus Christus, 1446 Portrait d'un ChartreuxPETRUS CHRISTUS (ca 1410 - Bruges ca 1476)
Portrait d'un Chartreux, 1446
Metropolitan Museum of Art


Denis le Chartreux
est le type le plus parfait d'enthousiasme religieux que la fin du Moyen Age ait produit. Son énergie est incroyable. Aux transports des mystiques, à un ascétisme féroce, aux visions et révélations, il joint une immense activité d'écrivain théologique. [...] Ses oeuvres remplissent 45 volumes in-quarto. A la demande d'un frère lai, frère Guillaume, il écrit sur la manière dont les âmes se reconnaîtront dans l'au-delà. Il le dira aussi simplement que possible, promet-il, et frère Guillaume le fera traduire en thiois. (Opera, t. XXXVI, p.178; De mutua cognitione) Il résume, il conclut, il ne crée pas. Tout ce que les grands prédécesseurs ont pensé, il le reproduit dans un style simple et large. Les citations de Bernard de Clairvaux et de Hugues de Saint-Victor brillent comme des diamants dans la prose unie de Denis le Chartreux. Il a écrit, revu, corrigé, rubriqué et enluminé lui-même tous ses livres. A la fin de sa vie, il pose délibérément la plume : "Ad securae taciturnitatis portum me transferre intendo". - Je veux entrer au port du silence plein de sécurité (Vita, Opera, t. I, p. XXIV, XXXVIII).

Il ne connaît pas le repos. Chaque jour, il récite presque tout le psautier. En vaquant à ses occupations, en s'habillant et se déshabillant, il prie. Après matines, il ne se recouche plus. Grand et robuste, il impose à son corps toutes les exigences [...] Le travail énorme de méditation et de spéculation théologique qu'il mena à bonne fin n'est pas le fruit d'une vie d'étude paisible et équilibrée; il a été élaboré au milieu d'émotions intenses et de violentes secousses. Visions et révélations composent son ordinaire. [...] l'attaque des démons au lit de l'agonisant est le sujet fréquent de ses sermons. Il converse constamment avec les défunts. [...] Il a honte des extases qui lui viennent en toutes sortes d'occasions, surtout en entendant la musique, parfois au milieu d'une noble compagnie attentive aux paroles de sa sagesse. A ce grand théologien restera le titre de Doctor ecstaticus.

Pas plus que le thaumaturge de Louis XI, une grande figure comme Denis le Chartreux n'a échappé aux soupçons et aux railleries. Les détracteurs mondains l'ont poursuivi toute sa vie. Au XVe siècle, les manifestations suprêmes de la piété sont accueillies avec une méfiance qui n'a d'égal que l'enthousiasme.

[fin de l'extrait] //////////////////////////////////////////////////////////////////////
Liste de "vrais" ermites [#]
Biographies d'ermites : Ebrard [#]- St Pardoux [#] - St Sebald de Nüremberg [#] - Saint Syméon l'Ancien et autres stylites [#]
Autres extraits du même auteur :
[#] [CLOCHETTES] L'amour de ce qui brille (chap. Habillement & Accessoires)
[#] Le Blason des Couleurs (chap. La Symbolique)
[#] Inconstances de la Fortune au XVe siècle (chap. carte X Roue de Fortune)

 

L  I  E  N  S 

St Bernard de Clairvaux (+1153) : fr.wikipedia.org/wiki/Bernard_de_Clairvaux
Commines : http://www.larousse.fr/encyclopedie/personnage/Philippe_de_Commynes/114258
Denis le Chartreux (1402-1471) :
http://fr.wikipedia.org/wiki/Denys_le_Chartreux
http://www.newadvent.org/cathen/04734a.htm

Hugues de Saint-Victor (+1141) : fr.wikipedia.org/wiki/Hugues_de_Saint-Victor
Louis XI de France (1423-1483) : fr.wikipedia.org/wiki/Louis_XI
http://www.larousse.fr/encyclopedie/personnage/Louis_XI/130423

Maximilien Ier (Saint-Empire) : fr.wikipedia.org/wiki/Maximilien_Ier_du_Saint_Empire 
Nicolas de Cusa (+1464) : agora.qc.ca/dossiers/Nicolas_de_Cues
Ordre des Chartreux :
wapedia.mobi/fr/Chartreux
en italien : https://cartusialover.wordpress.com/
Ordre des Minimes : fr.wikipedia.org/wiki/Minimes_(ordre_religieux)
la sainte Ampoule : http://catreims.free.fr/rel006.html
Philippe le Bon : fr.wikipedia.org/wiki/Philippe_III_de_Bourgogne
Ste Colette de Corbie (1381-1447) :
www.newadvent.org/cathen/04099b.htm
www.sainte-colette-de-corbie.sitew.fr/Biographie_Chronologie_Fioretti.B.htm#Biographie_Chronologie_Fioretti.B

St François de Paule (1416-1507) :
nouvl.evangelisation.free.fr/francois_de_paule.htm
www.newadvent.org/cathen/06231a.htm

St Romuald (+ 1027) : missel.free.fr/Sanctoral/06/19.php
www.histoire-france.net/biographie/valois.html
St Zénobie (337-417) : fr.wikipedia.org/wiki/Z%C3%A9nobie_de_Florence
www.newadvent.org/cathen/15755a.htm

ILLUSTRATIONS :
Petrus Christus : Portrait d'un Chartreux, 1446 - Metropolitan Museum of Art
http://aima007.blogspot.com/2012/03/petrus-christus.html

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