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\\\\\\\\ Le . monde . des . tarots . anciens
26 août 2011

Eros et Agapê (par une soeur bénédictine)

VI L'AMOUREUX [#] Eros [#] dualité [#][#]

Theophora SCHNEIDER osb : La Femme dans le mariage in "Visages Bibliques de la Femme"
par des moniales bénédictines de Herstelle, trad. H. Rochas, Desclée de Brouwer, Paris 1965
[extrait pp. 39 sq.] //////////////////////////////////////////////////////////////////

 

Nous ne devons pas juger hâtivement du désir d'aimer, uniquement comme s'il était propre à la nature déchue; car elle est "une nature entravée dans ses possibilités" [1]. Mais, de soi, cette nature ne connaît que le désir ardent de l'Eros. Que cet Eros se tende vers la chair ou le sang, la terre ou le ciel, l'homme ou Dieu, il jaillit toujours "du besoin de complétude et voit dans la possession de l'être aimé la plénitude, l'apaisement, le bonheur". [2] [3]
-----> approche mythologique et psychologique d'Eros [#]  

Mais il doit y avoir un autre désir encore, un désir qui ne naisse pas du besoin, mais d'une plénitude surabondante; car Dieu lui-même désire. Oui, lui qui est la plénitude sans défaut, il désire s'unir un TOI humain. Dès la révélation primitive, il a découvert son coeur, dévoilé le désir de son amour éternel : "Faisons l'Homme à notre image et ressemblance ..." (Genèse, I, 26). C'est le désir de cet amour qui, générateur et source première, se communique et se donne en partage; la langue originale du Nouveau Testament l'appelle "Agapê", et Jean nous dit : "Dieu est Agapê" (1 Jean 4, 9.16).

Cet amour divin ne désire pas quelque chose d'étranger pour le posséder égoïstement, mais il crée et donne ce qu'il désire, et il ne reçoit que ce qu'il a lui-même donné. Au contraire de l'Eros, il n'engendre pas dans et de l'être aimé, mais il engendre l'être aimé. Il se crée un TOI à son image, qui lui renvoie, comme un miroir, le reflet de son propre visage. Car lui aussi veut recevoir; il le fait en se donnant d'abord à un autre, pour ensuite se laisser combler de lui-même. [...] comme l'amour de l'Homme qui aime librement.
[...]

Creation de Eve _ Chapelle Sixtine -_Michelangelo ca 1508La même divine Agapê créatrice, qui, en Adam, s'est créé un TOI aimé, veut déverser encore une fois dans un TOI, en le pénétrant de part en part, les torrents de son amour nuptial. [...] "Il n'est pas bon pour l'Homme d'être seul." (Genèse 2, 18). Il faut qu'il puisse se donner à un vis-à-vis dans son amour, tout comme je peux me donner à lui. Et ainsi l'Agapê divine livre Adam au sommeil, pour former, de sa chair et de son sang, la femme.

Quand sur tel ou tel tableau de l'époque romantique par exemple, on a vu Adam endormi, on ne sait plus dire si c'est l'amour de Dieu qui forme la compagne d'Adam, ou bien si c'est de l'amour d'Adam qu'elle est née. Il est absolument impossible de trancher. Par amour, Dieu forme la femme de la chair et du sang d'Adam, mais uniquement parce qu'Adam s'est abandonné aux mains créatrices de Dieu.  

Avons-nous forcé le texte sacré ? Est-ce vraiment l'amour de Dieu qui demande ici la main de la fiancée ? Ce n'est pas notre opinion, mais celle des Pères de l'Eglise, [4] et le cri de joie qui jaillit d'Adam, quand à son réveil il regarde la femme, leur donne raison [...]. L'amour créateur de Dieu qui d'abord, en donnant à Adam son être en partage, s'est créé un TOI, a donc reçu alors dans la femme, pour Adam, un visage humain. La femme est le symbole de l'Agapê TELLE QU'ELLE EST DANS LA CREATURE, de l'Agapê jaillie de sa source première et n'aime que parce que son amour lui est donné.

S'unir dans le souffle de l'amour de Dieu, tel est le mariage paradisiaque. [...]

Tamara de Lempicka : Adam et Eve, 1932

adam-and-eve-1932 Tamare de LempickaCertes, par le péché, Adam et sa femme s'étaient séparés de l'Agapê de Dieu. A la "communauté dans la grâce originelle" avait fait place une "communauté dans la faute". Ensemble, ils avaient donné à leur Créateur congé du TOI-fiancée, ensemble ils avaient perdu l'amour qui vient de Dieu et qui unit à Dieu. L'amour qui, après le péché, les unit, n'est plus qu'un amour terrestre, un Eros humain.

Pourtant, dans cet Eros, qui est lui aussi un don de l'éternelle Agapê divine, le Créateur, devenu dès lors Rédempteur, verse, comme dans un vase, les torrents de son amour miséricordieux et pardonnant, en promettant à l'Homme déchu un Sauveur "né de la Femme". [...] Ce verdict gratifie l'homme et la femme de pouvoir porter ensemble toute la souffrance de la terre; [...] [il] les place l'un et l'autre sur le chemin du Christ qui ramène au Père et consacre en sacrifice d'amour leur amour conjugal. [...] 

Ils ont une mission dans l'histoire du salut, et cela veut dire que leur mariage est un symbole, et, en tant que symbole, il a une signification qui le transcende.

Aux époux, il est donné de manifester, en tout et par tout, le lien conjugal entre le Christ et l'Ecclesia, d'être une copie de l'exemplaire céleste auquel ils participent, auquel ils sont unis, qu'ils rendent visible et présent, même si ce n'est que, d'une manière ombrée et voilée. Ils doivent, dans leur amour conjugal, expérimenter "cordialement ce qu'il en est de l'amour du Christ qui se donne ... pour lui répondre dans un amour commun [5]". L'amour mutuel qu'ils se donnent l'un à l'autre doit rendre possible au Christ de s'aimer en eux et à travers eux. Ils doivent "reconnaître avec étonnement que leur amour réciproque doit être un hommage à l'amour du Christ, une agréable adoration du Dieu d'amour [6]" [...]

Ainsi le mariage reste, à travers toute l'ancienne alliance et dans l'histoire du salut, un symbole de l'amour miséricordieux et rédempteur de Dieu. Sa "consécration ne vient pas de la puissance des partenaires humains, mais uniquement de celle de l'aile éternelle qui les adombre tous les deux".

En toute union s'accomplit, de façon cachée, cette alliance de Yahvé avec la "Vierge Israël" qui, une fois encore, par-delà elle-même, signifie l'alliance d'amour entre le Christ et l'humanité rachetée. [...] C'est plutôt dans le Christ et l'Ecclesia que la réalité de deux en une seule chair est grande, tandis qu'elle est petite en ceux qu'unit le mariage, comme le dit Augustin. [7] [...]

 

Le mariage est, comme le dit encore Augustin, comme un sacrement, un symbole de cette union indissoluble du Logos incarné et de l'humanité rachetée [8]. Il y a là plus qu'une simple indication; en effet, c'est "une participation réelle à ce grand mystère du Christ [9]". Or, par cette participation, le mariage lui-même devient un mystère, c'est-à-dire une réalité dans le Christ. Celle-ci, qui jaillit de l'éphémère amour humain, se change en un mystère de l'Agapê permanente du Christ. Son caractère paradisiaque lui est restitué : l'unité en Dieu, par l'amour qui vient de Dieu, enfante la virginité. [10]

[...]

 
Le vis-à-vis conjugal doit donc être consacré pour devenir un FRONT COMMUN pour Dieu dans le Christ. Comme lors de la première union au Paradis [entre Adam et Eve], l'Agapê divine doit s'insérer dans l'amour conjugal, dans l'Eros humain. Alors deux coeurs remplis du Christ deviendront un seul TOI pour Dieu. [...] Nous le savons par l'exhortation de l'Apôtre [Paul] : "Maris, témoignez de l'Agapê à vos femmes, comme le Christ a témoigné de l'Agapê à l'Eglise et s'est livré pour elle, afin de la sanctifier..." (Lettre aux Ephésiens, 5, 25-26) C'est intentionnellement que nous ne rendons pas l'agapan biblique par le mot "aimer", car cet amour pourrait trop facilement s'entendre de l'Eros. Or Paul parle d'Agapê. Il demande au mari qu'il gratifie sa femme de l'amour qui vient de Dieu. Plus encore ! Il exige de lui qu'il l'aime de cet amour divin COMME le Christ sur la croix a aimé l'Ecclesia, lorsqu'il la sanctifiait de son sang.

Dans ce petit mot "comme" se cache le mystère du mariage.[...] Paul ne présente pas un idéal. Car alors il n'y aurait que l'abîme décourageant entre l'idéal et la réalité". [...] A celui qu'il exhorte, il rappelle plutôt la réalité chrétienne à laquelle celui-ci a part. Il exige de lui "qu'il témoigne de quelque chose qui - ayant été donné - existe". [11] [...]

 

Le Christ fait entrer le fiancé dans le sommeil de sa mort, afin qu'il lui advienne ce qu'il est advenu à Adam. Le fiancé doit donner, à un autre être, part à sa propre vie qu'il tient de Dieu, afin que de ces deux naisse, dans le Christ, l'être unique qui est le TOI de Dieu. Au fiancé il est donné de consommer, en y participant, l'amour de son Dieu sauveur, comme il fut donné à Adam d'entrer dans l'amour de son Dieu Créateur. [...] L'homme communique une vie de grâce que le Christ fait pénétrer, par l'intermédiaire de l'homme, dans l'aimée et qui la lui consacre. [12]

[...] Bien avant et au-delà de toute union corporelle, les époux sont donc comme Adam et sa femme : "deux en une seule chair", c'est-à-dire consanguins dans le sang du Christ et un seul être en Dieu. [...] De même en effet qu'il est donné au mari d'avoir part à l'Agapê créatrice du Seigneur, de même, dans l'Eros de la femme, est inclus l'amour du Christ, [l'amour] dont l'Eglise, aimée d'abord par le Logos, l'aime en retour comme une femme et une fiancée. Cette Agapê n'est pas génératrice ni sacerdotale, mais, à la manière d'une fiancée, elle reçoit, accepte, répond et restitue sans égard à soi-même. [...] Sa grâce et son devoir [de la femme] est, au sein d'une cellule particulière de la grande communauté chrétienne, de montrer à son mari, comme dans un miroir, comment, depuis les origines, il est le TOI que Dieu aime comme une fiancée, comment l'amour de Dieu le cherche et l'entoure de ses prévenances, [...]

 

Quand la femme répond librement à cet ordre (et c'est là le secret de son pouvoir dans l'oeuvre du salut), quelque chose de grand lui advient : elle devient ce qu'elle signifie, et, dans la mesure où, en elle, s'unissent symbole et réalité, elle devient pour son mari un modèle sur le chemin qui mène au Christ.

A travers elle, il conçoit sa propre perfection :
   "Grâce à toi seulement je suis devenu
    Ce qu'à présent je suis.
    Chérie, ne cesse pas de me combler
    Encore à l'avenir".

Cet ultime aveu "d'un médecin, tombé sur le front de l'Est, à sa femme" [13] rejoint naturellement un mot de G. THIBON  qui fait parler l'aimée :
"Les choses sacrées qui vivent en moi, je ne les posséderai sans ombre que lorsqu'elles me reviendront portées dans tes mains et sur tes lèvres. Tu ne me donnes rien, si tu ne me donnes à moi-même. J'attends, pour me reposer dans mon âme, de l'avoir reçue de toi comme une aumône ... Qui ne peut dire ... à l'aimée : "Tu m'as donné à moi-même, j'ai reçu mon âme de tes mains ," [14]

 

Il se peut que des époux chrétiens n'éprouvent rien d'autre que leur amour humain dans les formes d'un amour terrestre. Pourtant [...] il est visible que, en vertu de l'union sacramentelle, le Christ a une part dans leur amour et que leur coeur s'emplit de son Agapê. Car le véritable amour conjugal "n'attire pas à soi ce qu'il aime, comme le fait la convoitise. Il le reçoit de la main de Dieu pour lui permettre d'être ce que Dieu a dessein qu'il soit. Et sa joie suprême est de faire avec l'aimé précisément ce que Dieu a décidé et commencé avec lui. Car l'aimant comprend avec bonheur qu'il est appelé par Dieu à coopérer à l'accomplissement de cette création [15]".

De cette manière tout ce que les époux se donnent par amour est pris dans la réalité sacramentelle, même "cet acte qui manifeste la plus haute intensité de la communauté conjugale", pourvu seulement qu'il soit "totalement authentique" et naisse d'une unité plus haute en Dieu. [...] Ce n'est que lorsque les époux s'aiment l'un l'autre pour aimer Dieu l'un avec l'autre que leur communauté conjugale est "un signe du Christ présent [16]", qui est tête et corps, fiancé et fiancée, deux en un seul. D'où l'exhortation d'AUGUSTIN : "Quand la chair ne peut rester intègre, que le coeur, par la foi, reste vierge [17]".

De façon plus concrète encore peut-être G. THIBON a dit : " Ne te fonds pas tout entière dans ton amant. Garde en toi quelque chose de vierge à travers la possession, quelque chose d'extérieur et d'irréductible non à ton amour, mais à l'avidité de l'être aimé [18]".

 

Un tel mariage n'est pas ancré dans "l'union corporelle, mais tout entier dans l'Esprit, parce qu'il unit en Dieu les âmes par un lien ineffable que Dieu seul connaît [19]" [...] tout ce qui les unit au Christ, les unit l'un à l'autre. Toute prière, toute messe, toute souffrance même, portée dans la patience, tout pardon mutuel devient noces, union de leur coeur en Dieu, en approfondit leur virginité.

Il y aura toujours l'Eros qui permet à deux êtres de se trouver pour conclure l'alliance conjugale; car "quand Eros ne commence pas, Agapê ne peut achever [20]".

Mais sur la croix des déceptions et des souffrances, des faiblesses personnelles et des limites de l'autre, Eros meurt peu à peu, et l'Agapê pénètre par la brèche, elle qui aime en l'autre tous les vides comme "des portes ouvertes sur l'Etre [21]".

 

[1] E. WALTER, Wesen und Macht der Liebe. Beiträge zu einer Theologie des Liebe, 1955, p. 24
[2] E. WALTER, Wesen und Macht der Liebe ..., op. cit., p. 15
[3] E. WALTER, Quellen lebendiges Wassers, 2e édition, 1956, p. 274-315 : Die Herrlichkeit der christlichen Ehe.
[4] THEODORET, Haereticorum fabularum Compendium 5, 25. Autres témoignages dans O. CASEL, Die Kirche als Braut Christi nach Schrift, Väterlehre und Liturgie, dans Mysterium der Ekklesia, 1961, p. 59 sv.
[5] B. HÄRING, Das Ehekatechumenat, dans Anima 4, 1958
[6] Ibidem, p. 320
[7] Saint AUGUSTIN, De Nuptis et concupiscentia, I, 23
[8] Texte original de la citation de Saint Augustin : Quod ergo in Christo et in Ecclesia magnum, hoc in singulis quibusque viris atque uxoribus minimum, sed tamen coniunctionis inseparabilis sacramentum.
[9] Pour la période patristique : AMBROISE, In Ps. 39,11; In Luc, II, 85 sv.; VI,38, VII, 96; VIII, 9 sv.; HILARIUS,Tract. myst. I, 3 sv.; Tract. in Ps. 52, 16; Tract. in Ps. 138, 29 sdv., etc.
[10] G. THIBON, Ce que Dieu a uni, 1945
[11] E. WALTER, Wesen und Macht der Liebe ..., op. cit., p. 15; 79; 88; 109
[12] Dans le même sens, la dogmatique dit que, dans le mariage, les époux sont ministres et bénéficiaires du sacrement, et donc de la grâce sacramentelle. cf. HÄRING, op. cit., p. 318 :  Dans le mariage, les fiancés se rencontrent "sur un plan pleinement pastoral. A travers leur amour de fiancés et d'époux, dans la volonté de recevoir cet amour du Christ et de le lui restituer dans la fidélité, ils deviennent les instruments vivants de sa grâce et de son amour. [...] Dans la vie pratique il arrive souvent que la plus grande grâce coule de la femme vers le mari [...]
[13] F. X. ARNOLD, die Frau in der Kirche, 1949, p. 17
[14] G. THIBON, op. cit. ; p. 173
[15] E. WALTER, Wesen und Macht der Liebe ..., op. cit., p. 44
[16] St JEAN CHRYSOSTOME, In Ep. ad. Col. 12, 7
[17] St AUGUSTIN, Sermo 192,2.
[18] G. THIBON, op. cit. ; p. 160 
[19] St JEAN CHRYSOSTOME, In Ep. ad Eph. 20,5
[20] E. WALTER, Wesen und Macht der Liebe ..., op. cit., p. 22; et Quellen lebendiges Wassers, op. cit., p. 293
[21] G. THIBON, op. cit. ; p. 142

[fin de citation] ///////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////
Autres écrits de moniales cités dans le blog :
Sainte Thérèse de l'Enfant-Jésus (1873-1897) : Au Carmel de Lisieux [#] - Sainte Thérèse d'Avila (1515-1582) : Vision de l'enfer [#] - Soeur Emmanuelle (1898-2008) : Dieu n'est pas un empereur à tralala [#]

 N.B. : Theophora Schneider, auteur d'un livre sur Maître Eckhardt en 1935, était titulaire d'un doctorat de philosophie

 

I  L  L  U  S  T  R  A  T  I  O  N  S 

 

 

 

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