Démons et possédés en Savoie autour de 1600

carte V LE PAPE : Sommaire [#]
carte XV LE DIABLE : Sommaire [#]

Père Gilles JEANGUENIN : Saint François de Sales. Son combat contre le démon
Editions de l'Emmanuel 2009
[extrait] /////////////////////////////////////////////////////////////////////////

pp. 39

Genève, avec quelques territoires voisins, était tombée aux mains des calvinistes, et ceux-ci s'empressèrent d'expulser l'évêque et le clergé. Dépossédé de sa cathédrale, l'évêque dut trouver refuge à Annecy, ville savoyarde distante de 45 km. En 1593 François fut nommé prévôt du chapitre de la cathédrale Saint-Pierre à Genève, mais il résidait à Annecy avec ses chanoines.

En 1594, dans un climat de grande hostilité entre catholiques et protestants, François commence son ministère d'évangélisation dans le Chablais (Ce territoire [au Sud du Léman], qui fait partie du diocèse de Genève, était passé aux mains des calvinistes avec l'invasion des Bernois en 1536) : il prêche, catéchise, explique et répand partout la doctrine catholique, même s'il sait pertinemment qu'il risque sa vie. Il glisse aussi des copies de ses sermons sous les portes des maisons, là où les ministres calvinistes empêchaient les gens de venir l'écouter.

Comme François avait libéré des possédés, qui étaient nombreux dans cette région,  les ministres calvinistes s'inquiétèrent de la popularité croissante du saint prédicateur et de son influence sur les foules. Ils tentèrent donc de la discréditer aux yeux du peuple en accusant le prévôt d'être un sorcier et de recourir au pouvoir des démons pour désensorceler les énergumènes. Certains de ses adversaires publient des pamphlets contre lui, d'autres profèrent toutes sortes d'i,jures et de calomnies à son égard, d'autres encore affichent leur mauvaise foi et leur ignorance, allant jusqu'à ridiculiser la pratique des exorcismes de l'Eglise catholique.[...]

Nul doute que le démon est partie prenante de la violence avec laquelle on tenta de s'opposer à l''ardeur et au zèle apostolique de François : un groupe de calvinistes exaltés monta même un piège dans le but d'assassiner l'apôtre du Chablais !

Aujourd'hui encore, l'homme juste est souvent maltraité par le démon et par ceux qui lui obéissent. Satan repère ceux qui vivent dans le mensonge et dans la haine de leurs frères, attise leur méchanceté, et les pousse à persécuter les innocents et à ruiner leurs bonnes oeuvres. Le démon tire habilement parti de toute faiblesse (jalousies, passions, frustrations personnelles, soif de pouvoir, divisions, égoïsmes...) pour monter l'homme contre l'homme et pour le mener à la guerre fratricide. Comme le serpent crache son venin dans sa proie, Satan inocule la haine dans le coeur de l'homme pour le rendre mauvais. [...]

Mgr François de Sales fut évêque de Genève de 1602 à 1622, dans un des plus vastes diocèses en superficie : en 1606 on ne comptait pas moins de 450 paroisses "habitées par de vrais catholiques", plus de 130 autres "tombées sous la domination tyrannique de Berne" dans les pays de Vaud et de Gex. [...] Le nouvel évêque se heurta bientôt à deux fléaux qui avaient réduit le diocèse, au plan spirituel, à une peau de chagrin : l'ignorance d'une grande partie du clergé et les croyances superstitieuses, sorties tout droit de l'imagination populaire.[...]

Ces populations [alpines], plutôt rustres et ignorantes, vivant comme écrasées par la peur du diable et des maléfices, allaient jusqu'à s'accuser mutuellement de recourir à la sorcellerie pour régler les différends entre voisins. Les habitants de Chamonix, par exemple, demandaient à leurs prêtres d'exorciser les glaciers pour empêcher les démons de pousser ces énormes lames de glace sur les terrains cultivés ou habités. [par ex. en 1602, et jusqu'en 1695].[...] A Biot, la paroisse fut dévastée par deux sorcières, dont l'une opérait à Morzine et l'autre à Bonnevaux. Cette dernière avait pris comme collaborateur "un bâtard du pays, fort vicieux", qui faisait croire à tout le monde qu'il était possédé par un esprit devin, et que cet esprit, qui était en lui, s'exprimait par sa bouche ! (cf. E-J Lajeunie, Saint François de Sales, l'homme , la pensée, l'action, t. 1).[...]

Certains villages de haute montagne restaient isolés du reste du monde pendant de longs mois d'hiver à cause des intempéries et des grandes quantités de neige. A la dureté de la vie et aux privations qu'enduraient les habitants de ces vallées, s'ajoutaient "maintes superstitions, magies, sorts et sorcelleries, ancrés dans les esprits depuis des générations" (A. Ravier).

Dans les Constitutions synodales de 1582 l'évêque de Genève, Mgr Claude de Granier, avait déjà condamné comme "crimes d'idolâtrie les superstitions, incantations, sortilèges, vaines divinations faites soit par l'examen des mains ou d'autres parties du corps, soit par l'observation interprétée des oiseaux, des songes ou de toutes autres choses." (Henri Baud, Le diocèse d'Annecy, p. 121). [...]  Dans les constitutions synodales du 20 avril 1605, François de Sales, alors son successeur de Mgr de Granier, fixa de nouvelles normes à observer sous peine de sanctions canoniques :" Ayant reconnu que beaucoup d'abus se commettent par les exorcistes de notre diocèse, nous défendons à tous les ecclésiastiques, tant séculiers que réguliers, de proférer des exorcismes sans avoir été reconduits dans cette charge, par écrit, par Nous ou par notre vicaire général..."

[entre 1604 et 1610] Le saint évêque avait entrepris de visiter toutes les paroisses de son vaste diocèse et voyageait soit à cheval ou à pied pour rejoindre les villages, même les plus reculés, au fond des vallées ou au sommet des montagnes savoyardes. Bien souvent il s'engageait, lui et sa suite, sur des sentiers très escarpés, à flanc de coteaux, et supportait de bon coeur tous les désagréments que lui causait ce périple. [...]

Le témoignage de Georges Rolland au procès de béatification de François de Sales [commencé en 1627 à Annecy] rapporte la ferme condamnation de l'évêque à l'encontre des abus commis par des exorcistes :
                   " Je sais que lors de la visite générale de son diocèse que fit le bienheureux, il se
                     trouvait en divers endroits un grand nombre de possédés et de maléficiés. Dans
                     la paroisse appelée Les Albergements se trouvait un groupe d'environ quatre-
                     vingts de ces possédés qui, remplis d'une grande violence, allaient jusqu'à tuer
                     des personnes. Au retour de sa visite, l'évêque mit bon ordre à cela et défendit
                     qu'on exorcisât désormais [ces gens malades]. Et une année après, on ne parla
                     plus de possédés dans le diocèse, et il ne s'en trouva plus un seul dans ladite
                     paroisse. On dit, alors, que ces malades avaient été guéris par les mérites et les
                     prières du bienheureux François."
[fin de citation] ///////////////////////////////////////////////////////////////////////////////
Autres extraits du même ouvrage :
[#] Contagion diabolique en 1627 dans le Chablais
[#] Ce malheureux privé d'amour