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\\\\\\\\ Le . monde . des . tarots . anciens
9 novembre 2011

Beauté féminine et sidération

Dans ce texte d'historien, beaucoup de fulgurances semblent éclairer les principales caractéristiques visuelles de la carte de tarot XVII L'Etoile, telle qu'elle apparaît au XVIIe siècle (la belle femme nue, en pleine nature, près de l'eau, vidant deux vases). Fait d'autant plus remarquable : *rien* de tout cela, en revanche, ne pourrait illustrer les visuels des jeux italiens du XVe siècle, (ceux où la femme est habillée ou très souvent absente, et dont le sujet central est véritablement une étoile dorée, étoile parfois entourée des astronomes qui la scrutent, tels de nouveaux rois mages).

carte XVII L'Etoile [#]
carte XXI LE MONDE [#]

sous la direction générale de Georges DUBY et Michelle PERROT : Histoire des Femmes
dir. Natalie ZEMON-DAVIS et Arlette FARGE : Volume 3 : XVIe-XVIIIe siècles, PLON 1991
"Les Travaux et les Jours"
[extrait pp. 106-109] //////////////////////////////////////////////////////////////

Le désir d'identification n'est pas désir de possession mais jeu de travestissement, fondé sur une supposition : être une jeune et jolie jeune fille donnerait un tel pouvoir, augmenterait tant le plaisir d'être que cet état serait enviable.

Toute identité reconnaissable socialement est un état que l'on peut imaginer pour soi, l'état de jolie jeune fille est aussi enviable que celui d'homme adulte dans une société faite pour lui. La beauté est posée comme un équivalent symbolique d'un pouvoir plus réel, celui de l'homme adulte. La femme n'est enviable que lorsqu'elle est belle, car elle exerce un pouvoir qui suscite non seulement le désir de possession, mais aussi celui d'identification : "Etre elle!"

Le pouvoir de cette beauté fonctionne dans le court temps de la perception esthétique : foyer attractif des regards, la belle femme rivalise alors avec les autres instances de pouvoir : le trône, l'autel ... En ce sens, la beauté corporelle menace la hiérarchie, mais c'est une menace sans contenu, purement formelle, qui s'évanouit avec la disparition de l'objet. [...]

 

BELLINI 1515 Femme à sa toilette KHM WIENToute une technologie - celle des miroirs dont la taille et la présence dans les intérieurs urbains augmentent au XVIIe et au XVIIIe siècles, celle des fards, de la coiffure -, tout un savoir  scientifique et médical, tout un ensemble d'objets et de pratiques [...] aident à la production de l'image de soi par soi. 

 

Giovanni BELLINI (ca 1430-1516)
"
Femme à sa toilette"
1515

KHM, WIEN (Autriche)


Mais les conditions de description de la
beauté corporelle masquent ces divers processus.
La mise en pièces des différents lieux de beauté du corps et les hyperboles superlatives sont les deux manières de décrire la beauté corporelle. Les Blasons du corps féminin, au XVIe siècle, constituent un exemple de ces procédés de description. [...]

  • La question d'une définition plus théorique de la beauté corporelle reste entière. Les mots et les analyses sont particulièrement inadéquats pour définir une image qui pourtant fait l'unanimité au sein d'une même culture, et il suffit de mentionner jolie ou belle pour susciter des images, plurielles sans doute, mais suscitant l'effet de beauté.

  • Spectacle social privilégié, la beauté occupe le terrain du temps infiniment court de la perception esthétique. Pendant cet événement, tout est en suspens [...]

  • Au moment de l'apparition, qui est toujours parfaite, la durée, le moindre éternuement, est déjà une chute, car l'irréalité du fait de beauté croît avec sa perfection, celle qui ne se réalise pleinement que dans l'instant discontinu, le souvenir ou le récit rétrospectif. Les métaphores lumineuses expriment la sidération, l'éblouissement, l'aveuglement de celui qui a abusé du voir. [...] Lorsque la belle femme paraît, elle est dévorée des yeux, et il y a effectivement occupation d'un terrain provisoire et frappé d'irréalité. [...]

 

Vouloir produire "l'effet de beauté" n'est pas futile ni le signe pervers d'une séduction mortelle, mais un mode précaire de tenter de s'en sortir, et cela joue pour les deux sexes, quoique inégalement. La belle voix du jeune Jean-Jacques [J-J Rousseau] chantant sur les chemins - adolescent, fugueur et dénué de tout - lui a ouvert bien des portes salvatrices.

Le charme esthétique peut sauver, à la vitesse d'un regard, mais il peut aussi perdre [...]

 

1518-1520 ca Hans BALDUNG GRIEN - Allégorie de la vanité - Kunstmuseum Bâle

Dès qu'elle disparaît, la beauté féminine est suspecte : le corps de la belle femme est lié à la mort, dont le squelette grimaçant et asexué l'étreint, la fixe par-delà le miroir, et enlace son corps déjà dénudé mais toujours paré.
------> Squelette, image emblématique [#]

Au XVIe siècle, l'iconographie offre les images de ce couple terrible, un corps d'autant plus "corporel" qu'il est féminin, d'autant plus périssable qu'il est beau, doré, nacré. L'étreinte du squelette est absolue, bien plus étroite que toutes les étreintes amoureuses, puisque ce squelette sans sexe, cette pourriture à venir, se situe à l'intérieur même du beau corps, sous la peau ...
------> Iconographie de la Mort au XVIe siècle [#][#]


Hans BALDUNG dit GRIEN (1485-1545)
"La Jeune Fille et la Mort"
Allégorie de la Vanité, ca 1518-1520, Kunstmuseum Bâle

Cette image ancienne perd de sa violence après la Renaissance; elle se plaît à relire la nudité féminine.

  • Dans un décor d'eau, de fruits, de fleurs, la femme se pare, est au bain, se regarde au miroir, peigne une chevelure torsadée, dont l'auréole est d'or.

  • Elle est entourée d'un espace vaporeux de vibrations presque immatérielles, dentelles, voiles, soieries, boucles, de tremblements lumineux.

  • Ronde, moëlleuse, elle est souriante comme une madone, la tête souvent inclinée elle aussi. La mort est moins proche, la menace plus diffuse.

  • L'occupation de l'espace de la toile par le corps dit beau sera l'un des topos majeurs du système de représentation de l'identité féminine en Europe après la Renaissance.  

Pourquoi cette eau, ces fontaines, ces soins du corps dans ce décor végétal, où courent de beaux animaux, ou des petits chiens taquins, un décor sans références sociales visibles ? Pourquoi ces fruits, ces boucles, ces courbes dont l'arrondi définit le féminin, résumé dans un trait "doux" ? [...]

  • Douce dans son regard, miroir de son âme, douce comme une courbe du dos qui s'incline déjà dans une posture qui consent. Avec l'arrondi, dont le trait souple produit de la douceur, cette qualité s'adresse à tous les sens, et définit tous les niveaux d'intervention du féminin : voici tout un programme identitaire résumé et exposé, qui répond à la question, qu'est-ce qu'une vraie femme ? C'est donc une présence reconnaissable, hyper-réelle mais jamais rencontrée, si ce n'est dans les courts moments discontinus où se produit la déflagration silencieuse de l'effet de douceur. [...]

  • La belle femme est aussi la vraie femme, toujours à sa toilette, dénudée, près de l'eau, des fleurs, des fruits, loin des contingences sociales, des travaux et des jours. D'ailleurs, l'exercice d'un métier dur, d'une science rigoureuse, ou d'un pouvoir musclé, retire du Féminin au féminin.
    -----> archétype d'Aphrodite accroupie [#]

 

Les images de beauté et de féminité définissent un ensemble étroit de possibles, une présence corporelle faite d'ENFANCE (rondeurs, peau lisse, fossettes et boucles, sourires, décor naturel loin des sociétés civilisées) et de MORT, d'inexpressivité suspensive (doux sourire énigmatique, absence de soi à soi dans une pure présence formelle), comme si la femme n'habitait pas son corps, comme si le beau corps en représentation annulait toute autre identité autre que cette vraie féminité, et cette pure beauté. La beauté s'oppose ici à la joliesse; la jolie fille en effet peut être plus animée et loquace, brune et piquante, moins diaphane et distinguée, et cette opposition s'accentue beaucoup dans les textes à partir du XVIIIe siècle.

[...] Tactique d'intervention sociale, la beauté est délibérément utilisée par les femmes qui ont du mal à mettre en oeuvre leurs projets sociaux avec les mêmes moyens que leurs compagnons. Elle est aussi l'enjeu de stratégies complexes, puisque son apparition occupe le centre de la scène, rivalisant avec le soleil, le trône et l'auteur. [...]

Enfin, la beauté des femmes n'est reconnaissable qu'inscrite dans une définition très étroite de la féminité, une douce courbe silencieuse, encore lourde de menaces diverses, dont le contenu depuis quatre siècles tend à s'euphémiser; la belle femme n'est-elle pas suspecte de bêtise, alors qu'en retour la femme intelligente perd de sa beauté puisqu'elle fronce les sourcils en réfléchissant ? A moins qu'elle ne compense sa laideur en faisant rire l'aventurier, ce personnage masculin que G. Simmel oppose à la coquette [...]

[fin de citation] //////////////////////////////////////////////////////////////////

 

 

L  I  E  N  S 

PERSONNAGES CITES :
Jean-Jacques ROUSSEAU (1712-1778), philosophe français : www.memo.fr/dossier.asp?id=37
Georges SIMMEL (1858-1918), philosophe allemand : fr.wikipedia.org/wiki/Georg_Simmel

FAITS DE SOCIETE CONCERNES :
Blasons du corps féminin (poèmes du XVIe s.) :  www.stanford.edu/dept/fren-ital/cgi-bin/rbp/?q=node/218
Le rôle des miroirs depuis le XVe s. :  wodka.over-blog.com/categorie-878593.html

ARTISTES EVOQUES :
Hans BALDUNG GRIEN (1485 -  Strasbourg 1545) :
les liens sur la toile : www.artcyclopedia.com/artists/baldung_grien_hans.html
bio et oeuvres (en anglais) : www.ibiblio.org/wm/paint/auth/baldung/
clichés d'oeuvres :  www.insecula.com/contact/A009959.html

ILLUSTRATIONS :

Femme à sa toilette, peinture de Giovanni BELLINI (ca1430-Venise 1516) : bilddatenbank.khm.at/viewArtefactImageLarge?image=http://bilddatenbank.khm.at/images/500/GG_97_HP.jpg&backuid=http://bilddatenbank.khm.at/viewArtefact?id=204

La Jeune fille et la Mort (allégorie de la vanité) ca 1518-1520 de Hans BALDUNG GRIEN (1485-1545)
version du Kunstmuseum de BÂLE , source wikimedia commons :
commons.wikimedia.org/wiki/File:Hans_Baldung_025.jpg?uselang=fr

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