[LIVRE] La lecture de la Torah

18 juin 2012

Lecture et méditation de la Bible juive (Torah) selon les enseignements hassidiques ... pour éclairer la présence du livre ouvert, tel une Bible, sur les genoux de la méditante papesse des tarots anciens. (ci-contre, Conver ca 1760)

carte II LA PAPESSE (sommaire) [#]

Catherine CHALIER : Traité des Larmes - fragilité de Dieu, fragilité de l'âme
coll. Spiritualités vivantes ALBIN MICHEL 2003 Poche 2008 ISBN 978-2-226-17860-2
[Extraits, avec intertitres dûs au blog)] ////////////////////////////////////

pp. 89 sq.

cliché www.universtorah.com

Par la voix de Jérémie, l'Eternel met en garde Juda et Israël choisis pourtant pour devenir son peuple, son titre de gloire et son honneur (Jr 13, 11) contre leur profonde tentation d'orgueil et leur refus d'écouter ses paroles afin de mieux s'adonner, sans scrupule, à la satisfaction de leurs propres inclinations et de servir d'autres dieux. Il les avertit mais Il semble résigné à sa propre impuissance face à leur désobéissance puisqu'Il ajoute :
"Et si vous n'écoutez pas, dans des lieux secrets (bemistarim) mon âme pleurera (tifké nafchi) à cause de l'arrogance (mifné géva) et mes yeux seront inondés et se répandront en larmes (dimah), puisque le troupeau de l'Eternel aura été capturé. (Livre de Jérémie 13, 17).

Or cette prophétie relative aux pleurs secrets de l'Eternel a longuement retenu l'attention des sages qui, dans le Talmud [1] , se demandent comment comprendre ces images. [...] Les maîtres enseignaient qu'il existe trois raisons majeures pour lesquelles l'Eternel pleure chaque jour :
- à cause de celui qui a les moyens d'étudier la Torah et qui ne l'étudie pas,
- à cause de celui qui n'a pas les moyens d'étudier la Torah et qui l'étudie,
- et à cause d'un chef de communauté qui se comporte avec arrogance envers son public"

-----> [LARMES] cf. chap. XVII L'Etoile [#]
-----> [LIVRE] Torah et Talmud, les deux Torot, cf. [#]

pp. 102 sq.

1) Celui qui n'étudie pas

La place consentie par chacun à la Torah au coeur de ses jours éphémères constitue sans nul doute le fil conducteur de la réflexion des sages. La Torah comme vérité, comme chemin et comme vie, ou encore la Torah comme descente de la Parole de Dieu en proximité des hommes, ne s'impose pas avec insistance, force et violence : elle dépend de la CAPACITE D'ECOUTE propre à chacun, de sa disponibilité et de son empressement à interroger ce Verbe avec une intelligence qui ne s'offense pas d'être nourrie par la sève émotionnelle conférant à la vie de chacun un goût unique. Ainsi celui qui n'étudie pas la Torah, alors que son statut social et économique, ses capacités intellectuelles et son génie propre le lui permettraient pourtant, rejette Dieu loin de lui, même s'il lui arrive de s'en réclamer pour mieux asseoir sa place et son autorité sur autrui. [...]

En effet, dit le Talmud, lorsque Dieu voulut donner la Torah à Israël, les anges s'unirent pour lui déconseiller avec force d'offrir son bien le plus précieux à des créatures aussi vaines que les hommes. [2] Mais leurs conseils restèrent sans effet et les hommes reçurent - ou plutôt reçoivent maintenant - ces paroles dont la Voix divine ne cesse d'être la source vive, comme l'enseigne le rabbi de Gur [3]. Or celui qui ne les interroge pas se trouve à son insu dans le plus grand exil (galout), car il persévère dans ses jours comme si elles n'existaient pas, ou existaient pour d'autres, pour ceux, pense-t-il parfois avec commisération, dont la faiblesse et l'inintelligence ont besoin d'espoir ou de signification. [...] Que l'Eternel pleure à cause de lui signifierait alors qu'Il ne se résigne ni à son propre abandon, fût-ce par une seule de ses créatures, ni à l'abandon du monde à ceux qui entendent se vouer au culte de leur éloquence, de leur supériorité intellectuelle ou sociale, voire de leur réussite matérielle. Il ne se résignerait pas à voir l'exil (galout) triompher dans l'âme des créatures.

2) Celui qui étudie la Torah malgré sa pauvreté,

son intelligence médiocre ou encore l'oppression qu'il subit témoigne d'une nostalgie que les circonstances n'édulcorent jamais. Il ne se résigne ni aux ténèbres ambiantes sous prétexte qu'elles constituent le lot d'une multitude de personnes, ni au doute qui s'empare parfois même des plus fidèles aux instants où l'abîme côtoie l'espoir. Sans se lasser, il cherche à s'approcher de son propre SECRET - du secret qui est à la source de sa vie et de son désir de l'accomplir en vérité - en interrogeant les versets.

Enfants juifs hassidim, 1931
chiourim.com

Cela ne veut pas nécessairement dire qu'il ait conscience du lien entre le secret qui l'habite - la parole du Dieu qui lui donne la vie - et les versets qu'il a devant les yeux - la parole du Dieu descendue dans les mots humains. En effet, il ne sait pas souvent clairement que si ces DEUX PAROLES s'éclairent l'une l'autre - lui interrogeant les versets, avec désir et amour, pour permettre que leur signification se renouvelle, les versets lui promettant en retour un renouvellement de lui-même -, c'est parce qu'elles émanent d'une unique Voix (qol). Mais son étude atteste de sa non-résignation au malheur comme à la fin des choses, malgré toutes les preuves qui incitent à l'affirmer haut et fort. Il n'a donc pas succombé à l'exil, à la détresse (metser) ou à la tentation de suffisance. Dans son regard sur lui, Dieu pleure-t-il alors de joie ou de tristesse ? Ces deux affects ne se laissent sans doute pas dissocier dans ce cas et ils ressemblent d'ailleurs à ceux de chaque personne qui, dans l'adversité, voire la persécution, continue d'étudier la Torah en toute ignorance de son mérite propre. [...]

La personne qui étudie, sans moyen, privée de toute grâce, voire vouée avec déréliction à l'opprobe des nations, se révèle en effet un indéfectible partenaire de l'alliance, fût-ce aux temps sinistres où le tohu-bohu menace chacun. Comme si cette personne promettait encore fidélité [4] à un Dieu de plus en plus énigmatique et obscur [...] Cette persévérance pathétique ne provient-elle pas en effet d'un amour invaincu ? D'un amour qui, même quand il se fait tard, tente de se frayer un chemin vers un Dieu souvent presque agonisant dans les âmes trop blessées, d'un Dieu dont les larmes proviennent alors aussi de la gratitude envers ceux qui Le cherchent encore. [...]

3) Celui qui agit avec orgueil

Rabbin portant un Sefer Torah sur le quai du "départ"-
images du ghetto - chiourim.com

Ghetto-rabbin sur le quai avec la Torah-chiourimdotcom Ce qui conduit à mentionner enfin [...] l'omniprésence de ceux qui s'enflent d'orgueil. Dieu se retire en effet dans ses "lieux secrets" pour pleurer sur eux, surtout lorsqu'il s'agit de chefs de communauté, car ils se servent de Lui, de sa Torah, afin de mieux dominer le peuple, au lieu de le servir. Leur suffisance chasse Sa parole de la terre, et, en prétendant agir en son nom, ils la pervertissent. Leur absence d'humilité, leur hypocrisie et leur "déficit de larmes" [5] les transforment en objets d'opprobre, même s'ils l'ignorent. Dieu pleure sur eux, insiste le Talmud, comme si, par leurs propos et leurs attitudes, ils Le bannissent de la terre, tout simplement pour prendre sa place à la manière dont Pharaon disait : "mon fleuve est à moi, c'est moi qui me suis fait" (Ezéchiel 29,3)

[...] Certes une théologie implicite anime cette image des pleurs de Dieu, mais, selon les sages, comme cette théologie ne peut virer en affirmations conceptuelles sur Dieu sans danger d'idolâtrie, il est toujours bon de revenir au langage sensible des images ou des métaphores pour éviter la surdité du savoir à ce qui l'excède. Il ne s'agit pas évidemment de prendre ce langage à la lettre, mais de chercher, grâce à lui et en lui, à mieux entendre la Voix dont la vérité dépasse les meilleurs des concepts forgés par l'intelligence pour s'approcher de Dieu. C'est d'ailleurs sans doute parce que ces images et métaphores parlent aussi au corps sensible et émotionnel - et pas seulement à l'intellect donc - qu'elles jouent un rôle si important dans la sagesse juive. Pour s'approcher au plus près de la Voix, sensibilité, émotions et intelligence, semble-t-il, ne doivent pas se laisser dissocier.

[1] Talmud Babli, Haguiga 5b
[2] Chabbat, 89a : commentaire de R. Josué, fils de Levi [...] les anges citent le passage (Psaumes 8,5) : "Qu'est-ce que l'homme, pour que tu te souviennes de lui ? Et le fils de l'homme, pour que tu prennes garde à lui ?"
[3] Sfat Emet, volume consacré aux fêtes, tome II, p. 161 sq.
[4] Zvi KOLITZ, Yossel Rakover s'adresse à Dieu, trad. L. Marcou, CALMANN-LEVY, 1998, p. 35
"Dieu d'Israël, dit-il, j'ai fui jusqu'ici pour pouvoir Te servir librement, pour observer Tes commandements et Sanctifier Ton nom. Mais Toi, Tu fais tout pour m'empêcher de croire en Toi. Cependant si Tu penses réussir à me détourner du droit chemlin par ces épreuves, je Te crie mon Dieu et Dieu de mes ancêtres : Tu en seras pour Ta peine (...) je croirai toujours en Toi. Je T'aimerai toujours, toujours - envers et contre Toi !"
[5] voir L. MILOSZ, cité par Gaston BACHELARD in L'Eau et les rêves. Essai sur l'imagination de la matière, Biblio, Essai, J. Corti (1942) 2001, p. 129 il "nous dit que nous sommes faits uniquement d'argile et de larmes. Unj déficit de peines et de larmes, l'homme est sec, pauvre et maudit. Un peu trop de larmes, un manque de courage et raidissement dans l'argile, c'est une autre misère."

[fin de citation] ///////////////////////////////////////////////////////////////////
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