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\\\\\\\\ Le . monde . des . tarots . anciens
27 juillet 2012

[DES] Tous les jeux de hasard sont diaboliques

NOBLET Bateleur Paris ca 1650 cliché BNF tarotforumdotnetAu hasard d'une histoire du jeu d'échecs, voici des informations sur les JEUX DE TABLE et sur les DES, deux éléments attachés tout particulièrement à la carte I LE BATELEVR des tarots anciens ...

carte I LE BATELEVR [#]
Objets & Outils[#]
Variantes graphiques [#]

Michel PASTOUREAU : Une histoire symbolique du monde occidental
SEUIL 2004 - ISBN 978-2-7578-2874-8
[L'arrivée du jeu d'échecs en Occident (extrait)] ////////////////////////////////

pp. 308 sq.

La présence de pièces [de jeux] d'échecs dans le trésor d'une église ou d'une abbaye n'est donc pas chose rare au Moyen Age, et le cas de Saint-Denis n'est nullement isolé. L'abbaye Saint-Maurice d'Agaune, dans le Valais, conserve ainsi dans son trésor - l'un des plus riches de la Chrétienté - plusieurs pièces d'échecs musulmanes, tandis que la cathédrale de Cologne abrite trois jeux entiers, aujourd'hui perdus, l'un provenant de l'Europe du Nord et les deux autres de la péninsule ibérique. [1] L'attitude de l'Eglise a de quoi surprendre : d'un côté elle condamne la pratique du jeu d'échecs [...], elle décrète le jeu diabolique, mais les pièces qui servent à jouer sont thésaurisées, parfois vénérées. Pour comprendre cette apparente contradiction, il faut tenir compte de la chronologie. Les condamnations du jeu émanant de prélats ou d'autorités ecclésiastiques (synodes, conciles) sont surtout nombreuses au XIe et XIIe siècles. Par la suite, elles se font plus rares et tendent à disparaître à la fin du Moyen Age. A cela différentes raisons.

Tout d'abord, l'inefficacité de telles condamnations, la pratique du jeu ne cessant, au fil du temps, de se développer dans l'ensemble de la société. Ensuite, au XIIIe siècle même, une revalorisation des jeux en général,  qui font désormais pleinement partie de l'éducation courtoise et chevaleresque. [2]  Enfin et surtout, la disparition progressive de la cause principale de l'hostilité de l'Eglise à l'égard des échecs : l'emploi de DES, c'est-à-dire le recours au hasard.

L'ancienne variante indienne du jeu d'échecs ordinaire qui consistait à tirer aux dés la marche des pièces (choix de la pièce qui va jouer et/ou nombre de cases dont elle va progresser sur l'échiquier) n'avait en effet pas totalement disparu  lorsque le jeu s'était diffusé dans le monde musulman; et elle avait même connu un certain regain de faveur au moment de son arrivée en Occident. Pour l'Eglise, le hasard ludique (que le latin exprime par le mot alea) est une abomination, et tous les jeux de hasard sont diaboliques. Les dés surtout sont abominables parce qu'on y joue plus qu'à tout autre jeu, en tous lieux, en toutes occasions, au château comme à la chaumière, à la taverne comme au cloître, et que l'on y joue souvent tout ce que l'on possède : son argent, ses vêtements, son cheval ou sa demeure. C'est en outre un jeu dangereux. Malgré l'emploi d'un cornet, les tricheries sont fréquentes, grâce notamment à l'utilisation de dés truqués, dont parlent parfois les textes littéraires : les dés nompers ont une face reproduite deux fois; les plommez, une face rendue plus lourde que les autres par addition de plomb; les longnez, une face aimantée. D'où des rixes fréquentes, qui dégénèrent parfois en véritables guerres privées . [3]

1372 J de CESSULIS Le Jeu dEchecs moralisé chap XVI IRHT-CNRSJacobus de CESSULIS
Le Jeu d'Echecs moralisé
trad. Jean de Vignay
manuscrit destiné à Charles V
Paris, 1372

Miniature au début du chapitre XVI
Rubrique : "Des ribaus ioueurs de dez et coureurs ou messagiers".

Homme debout, en robe courte, tenant des pièces d'argent dans une main, des dés dans l'autre.

Bibl. Municip. de BESANCON, ms 0434 f. 280v
(c) I.R.H.T. - CNRS
www.enluminures.culture.fr

 

 

Ce sont donc les dés qui ont d'abord nui aux échecs. L'évêque de Florence, que Pierre Damien avait accusé en 1061 de s'être adonné aux échecs, répondit pour sa défense que certes il avait joué mais "sans dés". De fait, en renonçant à l'emploi des dés, le jeu d'échecs acquiert peu à peu un statut honorable puis valorisé. Et si à la fin du XIIe siècle les prélats l'interdisent aux clercs - parce que jouer est une activité vaine, qui donne lieu à des querelles et à des blasphèmes-, ils commencent à le tolérer pour les laïques. Au milieu du siècle suivant, la pratique du jeu est même déjà prévue par les statuts de quelques fondations pieuses, à la condition expresse de ne jouer ni avec des dés ni pour gagner de l'argent. [4] Quelques auteurs, tel Gautier de Coincy dans ses Miracles de la Vierge, vont jusqu'à mettre en scène des parties qui opposent les envoyés de Dieu et ceux du Diable.

Il est cependant un roi pour demeurer plus drastique que l'Eglise : saint Louis. Toute sa vie, il a eu la haine des jeux et du hasard. En 1250, sur le bateau qui l'emmène d'Egypte en Terre Sainte, il n'hésite pas à jeter par-dessus bord l'échiquier, les pièces et les dés avec lesquels ses propres frères sont en train de jouer, épisode qui a vivement impressionné son biographe Joinville, témoin de la scène. [5]  Quatre ans plus tard, en décembre 1254, lorsqu'il promulgue sa grande ordonnance réorganisant l'administration du royaume, le roi fait fermement condamner le jeu d'échecs, comme il fait condamner tous les jeux de tables (ancêtres du tric-trac et du backgammon) et tous les jeux de dés.
------> autres citations de Joinville dans le blog : [#]

Toutefois, chez les rois et les princes, le cas de saint Louis est isolé. Plusieurs souverains contemporains sont des joueurs d'échecs passionnés : ainsi l'empereur Frédéric II (mort en 1250), qui n'hésite pas, dans sa cour de Palerme, à défier les champions musulmans, ou bien le roi de Castille Alphonse X le Sage (1254-1284), qui fait compiler un an avant sa mort un volumineux traité consacré aux trois jeux condamnés trente ans plus tôt par son cousin le roi de France : les échecs, les tables et les dés. [6]

-----> suite du texte [#]

Notes de l'Auteur :

[1] H.J.R. Murray, A History of Chess, Oxford 1913, n.-, p. 420-424
[2] J-M Mehl, Jeu d'Echecs et éducation au XIIIe siècle. Recherches sur le "Liber de Moribus" de Jacques de Cessoles, thèse, Université de Strasbourg, 1975
[3] Sur les jeux de dés au Moyen Age, voir F. Semrau, Würfel  und Würfenspiel im alten Frankreich, Halle, 1910; M. Pastoureau, La Vie Quotidienne en France et en Angleterre au temps des Chevaliers de la Table Ronde, Paris, 1976, pp.138-139; J-M Mehl : Tricheurs et tricheries dans la France médiévale : l'exemple du jeu de dés, dans Historical Reflections, vol. 8, 1981, pp. 3-25; J-M Mehl, Les Jeux au Royaume de France, du XIIIe au début du XVIe siècle, Paris, 1990, , p. 76-97
[4] J-M Mehl, Le Jeu d'Echecs à la conquête du monde,  dans L'Histoire, n° 71, 1984, pp. 40-50, spécialement p. 45. voir aussi, du mêm auteur, Les Jeux au Royaume de France, op. cit., pp.  115-134
[5] Jean de Joinville : Histoire de Saint Louis, éd. N. de Wailly, Paris, 1881, paragraphe LXXIX, et éd. J. Monfrin, Paris, 1995, paragraphe 405. Sur cet épisode, voir aussi J. Le Goff, Saint Louis, Paris, 1996,  p. 541
[6] Alphonse le Sage, Juegos de acedrex, dados y tablas, fac-similé et commentaires par W. Hiersmann, Leipzig, 1913

[fin de citation] /////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////
Même ouvrage, autres extraits dans le blog :
[#] [OURS] L'ours, roi détrôné (chap. Plantes & Animaux)
[#] [CAVALIERS] Roch des échecs, ancêtre du cavalier de Bâtons ? (chap. Cavaliers) 

Sur les jeux médiévaux, cf. [#]

L  I  E  N  S 

LIEUX CITES :

Abbaye de SAINT-DENIS, 92 (France) :
www.tourisme93.com/basilique/abbaye-saint-denis.html
www.canalacademie.com/ida614-L-Abbaye-de-Saint-Denis-au-Moyen-Age.html
 Abbaye Saint Maurice d'AGAUNE (Suisse) : www.abbaye-stmaurice.ch/ (site officiel)
 www.encyclopedie-universelle.com/abbaye%20Saint-Maurice.html
www.newadvent.org/cathen/01205a.htm (en anglais)

Trésor dessiné par Edouard AUBERT :
gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k39288j

Fonction du TRESOR D'EGLISE (Bulletin du Centre d'Etudes Médiévales d'Auxerre) : cem.revues.org/document719.html

 

PERSONNAGES CITES :

ALPHONSE LE SAGE (1221-1284) roi de Castille : photospein.blogspot.fr/2011/06/libro-de-los-juegos-o-libro-del-ajedrez.html
FREDERIC II (1194-1250), empereur germanique  : www.histoire-fr.com/germanie_et_eglise_frederic_2_2.htm  (en français)
www.newadvent.org/cathen/06255a.htm (en anglais)           

GAUTIER de COINCY :fr.wikipedia.org/wiki/Gautier_de_Coinci
oeuvres : www.arlima.net/eh/gautier_de_coinci.html
JOINVILLE  (ca 1224-1317), sénéchal de Champagne, chroniqueur : fr.wikipedia.org/wiki/Jean_de_Joinville 
oeuvres : www.arlima.net/il/jean_de_joinville.html
Saint LOUIS, LOUIS IX, roi de France (1215-1270) : www.histoire-fr.com/capetiens_louis9_1.htm (en français)
www.newadvent.org/cathen/09368a.htm (en anglais)
Saint MAURICE :  www.newadvent.org/cathen/10068c.htm 
saint PIERRE DAMIEN (1007-1072) : missel.free.fr/Sanctoral/02/21.php         

ILLUSTRATIONS :
carte LE BATELEVR du Tarot de Jean Noblet (Paris, ca 1650) cliché BnF : www.tarotforum.net   

Minature du Jeu d'Echecs Moralisé de Jacob de Cessulis (Paris, 1372) : www.culture.gouv

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