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\\\\\\\\ Le . monde . des . tarots . anciens
16 août 2012

[ARMURE] plastron de cuirasse pour souveraine

Le passage ci-dessous traite du port d'un PLASTRON DE CUIRASSE par des souveraines de la Renaissance (en particulier la reine Elisabeth d'Angleterre). Cet usage symbolique peut probablement éclairer le sens de cette armure sur le personnage du jeune soldat de la carte de tarot VII Le Chariot. Le regard sur les cavaliers féminins des jeux italiens du XVe siècle peut aussi s'en voir modifié ...

Carte III L'IMPERATRICE[#]
Carte VII LE CHARIOT [#]
Objets & Outils[#]

Thierry WANEGFFELEN : Le Pouvoir contesté - Souveraines d'Europe à la Renaissance
publié sous la direction de Sophie Bajard, Ed. PAYOT & RIVAGES 2008
[extraits] ///////////////////////////////////////////////////////////////////////

pp. 390 sq.

La figure des Amazones n'est pas seulement, ni purement, féminine; elle constitue au contraire une sorte d'interface entre les genres, dont elle bénéficie alors des qualités et des vertus respectives, les tempérant deux par deux. Pour une souveraine, y recourir présente donc un double avantage. D'abord, référé à celui des Amazones, le pouvoir féminin devient pensable, et il est pour ainsi dire validé non seulement par cet imaginaire fort actif à la Renaissance, mais surtout par ce que celui-ci connote de valeurs consiérées comme spécifiquement masculines : la force, le courage, la détermination et la compétence en politique. Mais en même temps, la souveraine demeure féminine, seul son pouvoir est, en quelque sorte, virilisé. [...]

Catherine de Médicis  [...] s'est volontiers présentée en Amazone. On pourrait même dire qu'elle l'a fait dès l'âge de quatorze ans, à son arrivée à la cour de François Ier en 1533, puisqu'elle a eu à coeur aussitôt de monter précisément en amazone pour pouvoir être la seule femme de la cour à suivre son beau-père à la chasse à courre, afin de se concilier indéfectiblement sa faveur. D'autres souveraines de la Renaissance montent à cheval, se vêtent de cuirasse et marchent à la tête de leurs troupes.

Juan MORAL (?) : La reine Isabelle de Castille (isabellacatolica.com)

isabelle la catholique par Juan del MoralIsabelle la Catholique ne va pas tout-à-fait jusque là. Elle laisse le commandement des affaires militaires à son mari Ferdinand d'Aragon, mais elle sait le rejoindre sur le théâtre des opérations aux moments opportuns, tout particulièrement au camp de Grenade en 1492, si bien que c'est elle qui, dans l'imaginaire des Castillans, incarne l'âme de la Reconquête de la péninsule Ibérique sur les musulmans. "Elle établit nos campements, écrit un chroniqueur, ordonne nos batailles, conduit nos sièges"; "elle fait les rondes de ses royaumes, marchant, marchant et ne s'arrêtant jamais." On lui dédie même une vie de Jeanne d'Arc en castillan, qui met précisément davantage l'accent sur les qualités guerrières que sur la dévotion de la pucelle d'Orléans. Et dans son Livre du courtisan, Baldassare Castiglione, vantant la sagesse, le courage et la valeur de dirigeant d'Isabelle la Catholique, explique qu'"à elle seule revient l'honneur de la glorieuse conquête de Grenade" et il conclut qu'elle représente ainsi une exception parmi les femmes. On retrouve ce besoin de la Modernité de circonscrire les hauts faits féminins : au moins relèvent-ils de femmes à part et ne remettent-ils pas dès lors en cause les préjugés misogynes communs.

 

Juan DE LA CRUZ : Isabelle Claire Eugénie (3bp.blogspot.com)
Juan de la Cruz-Infantin_Isabella_Clara_Eugenia_von_Spanien_1599L'arrière-arrière-petite fille d'Isabelle la Catholique, il est vrai par ailleurs également petite-fille de Catherine de Médicis, Isabelle Claire Eugénie, se montre une souveraine guerrière accomplie, même si la conduite des affaires militaires est, classiquement, dévolue à son époux et cosouverain des Pays-Bas, l'archiduc Albert. C'est une arbalétrière émérite, qui remporte des concours à Bruxelles, une chasseresse acharnée et une cavalière infatigable. Durant le long siège d'Ostende, de 1601 à 1604, elle entend "aller même aux premières lignes pour mettre la main et donner de l'ardeur à ce qui s'y passerait". Et elle fait de même pendant le siège de Breda, en 1625. Elle paraît ainsi renouveler les exploits de sa grand-mère maternelle lors des sièges du Havre et de Rouen. Et elle s'attire l'admiration des Néerlandais restés fidèles aux Habsbourg. C'est d'autant plus opportun qu'ils se sentent davantage les sujets de la petite-fille de qui fut jadis leur légitime souverain, Charles Quint (né Charles de Gand), que du petit-neveu de celui-ci, l'archiduc Albert.

 

L'imaginaire des Amazones et autres viragos [à la Renaissance, féminin du latin vir, femme ayant les qualités (virtutes) masculines tout en étant pleinement femme] joue ici à plein. En effet, sans lui pourrait naître le sentiment d'une incompatibilité entre la fidélité dynastique et le genre de celle qui l'incarne. Au contraire, grâce à lui, le genre est détourné, et Isabelle Claire Eugénie devient plus que jamais la "dame et princesse souveraine" légitime et compétente dont les Pays-Bas ressentent l'impérieux besoin dans les circonstances extrêmement troublées auxquelles ils doivent faire face. Même après le décès d'Albert, en 1621, alors qu'elle a dû, comme on sait, redevenir simple gouvernante des dix provinces du Sud, l'autorité d'Isabelle Claire Eugénie demeure intacte et, on vient de le voir, elle n'en continue pas moins à cultiver son image guerrière, à Breda quatre années plus tard.

Mêmes les souveraines les moins enclines à viriliser leur autorité et leur pouvoir, finissent par avoir recours à cet imaginaire, lorsque la conjoncture le requiert.

C'est ainsi qu' Elisabeth Ière vainc sa répugnance naturelle et se rend en personne au camp de Tilbury, en août 1588, au moment où l'on craint l'invasion de l'Angleterre par l'Invincible Armada. Elle vient s'y adresser aux troupes, et on la décrit alors portant un PLASTRON DE CUIRASSE, ce qui est un trait masculin inhabituel chez elle, avec à ses côtés les comtes de Leicester et d'Ormond. Toutefois, le second, Thomas Butler, porte l'épée d'Etat. Donc la reine n'a pas tout à fait franchi le pas, elle ne s'est pas donnée à voir comme une guerrière. Elle n'a pas accepté d'assumer totalement l'apparence masculine d'un roi.

Mais l'imaginaire des Amazones est si fort que les témoins de la scène ont vu ce qui n'y était pas.

L'un d'eux, James Aske, présente ainsi la reine "comme un général sacré", "marchant à la manière d'un roi" le long des rangs de soldats. La propagande [...] comme tout discours en mots et en images, implique de la part de ses destinataires une "réception" susceptible d'en modifier le sens; en l'occurrence, elle en renforce manifestement la portée.

William Calden, dans l'Histoire d'Elisabeth commencée à la demande de William Cecil et publiée seulement sous le règne de Jacques Ier, le confirme : à Tilbury, la reine, écrit-il, "chevauche presque à travers les rangs des hommes d'armes [...] avec à la main un bâton de commandement, parfois à une allure martiale, d'autres fois à une allure convenant à une femme." On peut voir ici soit l'indécision d'Elisabeth elle-même, soit le décalage entre l'attitude de la reine et ce que les troupes rassemblées ont perçu d'elle. Bien sûr, Camden insiste sur les effets de la démarche de la souveraine : à Tilbury, cette dernière a encouragé "d'une manière incroyable le coeur de ses soldats par sa présence et le discours qu'elle leur a adressé".

La ballade de Thomas Denoney, La Reine visitant le camp de Tilbury et ce qu'elle y fit, attestée dès le lendemain de l'événement, le 9 août, insiste sur la grandeur d'Elisabeth [...] vraie "fille royale du roi Henri VIII"; l'exaltation dynastique ne remet pas en cause le genre de la souveraine. Pourtant, la ballade souligne également les "yeux de prince" de cette dernière.

Elisabeth I au camp de Tilbury - luminarium.org

Elizabeth à tilbury 1588 luminariumdotorgOn possède une version du discours de Tilbury peut-être modifiée après coup pour correspondre justement à la réception de l'événement apr les soldats. La reine s'y adresse à son "peuple aimant" et lui rappelle qu'elle s'en est toujours certes remise d'abord à Dieu, mais ensuite "aux coeurs loyaux et à la bonne volonté de ses sujets". Voilà des mots qu'Elisabeth a dû effectivement prononcer. Ils sont ceux d'une reine cherchant à capter la bienveillance des hommes d'armes en un moment où ils pourraient regretter de n'avoir pas un roi à leur tête.

Mais la suite vise à retourner le genre de la souveraine. On lit en effet qu'Elisabeth aurait affirmé tenir à être avec ses sujets, "au milieu, et au coeur de la bataille", "résolue à soutenir [...] et mon Dieu, et mon royaume, et mon peuple, mon honneur et mon sang, jusqu'à tomber dans la poussière"

Tout cela est possible.

La suite est sans doute plus improbable, quoique ce soit très vraisembablement les mots que les Anglais souhaitaient si fort entendre qu'ils les ont entendus, au point que la version écrite ne pouvait plus que le leur confirmer. "Je veux prendre moi-même les armes, je veux être moi-même votre général", fait-on alors affirmer avec force à la reine.

C'est dans le contexte de cette évocation guerrière tout à fait inhabituelle de sa part qu'Elisabeth se serait décrite comme ayant "le corps d'une faible femme, mais le coeur et l'estomac d'un roi, et même d'un roi d'Angleterre". Même apocryphe, mais en ce cas reprise presque aussitôt à leur compte par Elisabeth et ses conseillers, la formule dépasse largement l'évocation de la théorie des deux corps du monarque - un corps individuel que les aléas de la succession à la Couronne auraient fait féminin, mais qui ne serait pas plus incompatible que les corps mortels des rois mâles avec celui, immortel et forcément masculin, de la monarchie.

En fait, on serait plutôt tenté d'entendre la formule comme [...] le plastron de cuirasse n'est pas un travestissement mais l'indice extérieur de ce qui se produit à l'intérieur de la souveraine : [...] voici qu'Elisabeth, animée d'une volonté (son coeur) et d'un courage (son estomac) virils et royaux, transcende son apparence féminine et se révèle apte à agir pleinement en roi et comme roi, et le meilleur qui soit (l'heure est grave et impose un patriotisme tout à fait cocardier), à savoir un roi d'Angleterre ! [...]

La reine a toujours répugné à entreprendre la guerre parce que, femme, estimait-elle, la gloire des victoires lui échapperait au profit des hommes placés à la tête des troupes. Il est clair qu'à la veille de l'invasion espagnole, une telle position n'est plus tenable. L'imaginaire de la femme forte permet à Elisabeth de ne pas donner l'impression de renier l'image qu'elle a jusqu'alors voulu donner d'elle-même ni la politique à laquelle elle a désiré se tenir, tout en apparaissant comme le chef y compris militaire dont le pays menacé a un absolu besoin.

Le passage à une dimension imaginaire permet aux souveraines d'espérer réaliser la quadrature du cercle du pouvoir féminin : conférer à celui-ci la plénitude d'une autorité considérée par essence comme nécessairement masculine, sans pour autant donner l'impression d'une usurpation de cette autorité ni d'un déni d'un ordre phallocrate tenu pour naturel. En d'autres termes, la femme au pouvoir doit être obéie et ne pas apparaître comme un monstre. Toutefois, un tel but n'est pas toujours atteint, tant le poids du genre est lourd à porter même pour les reines effectivement au pouvoir à la Renaissance.

[fin de citation] ///////////////////////////////////////////////////////////////////
Même ouvrage, autres extraits :
[#] Régence féminine (1) : absence du souverain
[#] Régence féminine (2) : l'impératrice Isabelle du Portugal
[#] Régence féminine (3) : Marguerite d'Autriche
[#] Sceaux de souveraines
[#] [EPEE] Isabelle de Castille et l'épée d'Etat (chap. cartes d'Epées) 

L  I  E  N  S 

PERSONNAGES CITES :
Catherine de Médicis (1519-1589) reine de France :
www.larousse.fr/encyclopedie/personnage/Catherine_de_M%C3%A9dicis/112124
Charles Quint (1500-1558), empereur germanique (1519-1556) :
www.larousse.fr/encyclopedie/personnage/Charles_V/112815
Elisabeth Ière (1533-1603), reine d'Angleterre (1558-1603) :
www.larousse.fr/encyclopedie/personnage/%C3%89lisabeth_Ire/117916
Ferdinand II d'Aragon (1452-1516) roi de Castille (1474-1516) :
www.larousse.fr/encyclopedie/personnage/Ferdinand_Ier/119278
Isabelle la Catholique (1451-1504), reine de Castille (1474-1504) :
www.larousse.fr/encyclopedie/personnage/Isabelle_Ire_la_Catholique/125202
Isabelle Claire Eugénie de Habsbourg (1566-1633), infante d'Espagne, archiduchesse des Pays-Bas (1598-1621) : www.larousse.fr/encyclopedie/personnage/Isabelle-Claire-Eug%C3%A9nie_de_Habsbourg/125209
fr.wikipedia.org/wiki/Isabelle_Claire_Eug%C3%A9nie_d'Autriche

FAITS ET CONCEPTS :
Mythe des Amazones : mythologica.fr/grec/amazone.htm
La Renaissance : www.larousse.fr/encyclopedie/divers/Renaissance/184289
Discours de Tilbury : tudorhistory.org/primary/tilbury.html
Analyse des versions du discours (en Anglais) : www.elizabethfiles.com/the-spanish-armada-8-elizabeths-tilbury-speech/4065/

ILLUSTRATIONS :
Elisabeth au camp de Tilbury, l'invincible Armada en arrière-plan :
www.luminarium.org/renlit/tilbury.htm

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