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\\\\\\\\ Le . monde . des . tarots . anciens
28 juin 2017

Se cuirasser contre la peur (M. Brion)

Certains textes semblent VRAIMENT décrire une carte de tarot, sans l'avoir cherché ... Ici on nous parle d'un écrivain, préoccupé de garder ses passions sous contrôle. En lieu et place de Goethe, on croirait bien voir un ex-Amoureux des tarots, passé au stade du CHARIOT après avoir enfilé sa cuirasse ... 

Carte VII LE CHARIOT [#]
carte VI L'AMOUREUX [#]

Marcel BRION, de l'Académie Française : "La Musique et l'Amour", Hachette, 1967
[extrait pp. 21-29]////////////////////////////////////////////////////////////////////

[La] douceur même rend la musique dangereuse [...], parce qu'elle remue le vieux fonds de nostalgie et de mélancolie qui reste dans le domaine obscur de tout amour. Cette insidieuse douceur [...] agite de vieux souvenirs, des regrets inapaisés et l'amertume des désirs insatisfaits. Aussi Goethe avait-il écarté la musique, sinon de sa vie, du moins de ses sentiments; il la tenait à distance, comme une force menaçante, capable de détruire l'équilibre d'une existence perpétuellement mis en péril par l'inquiétude et la passion. Si l'on prenait à la lettre les confidences faites par lui à ce parfait historiographe, Eckermann, ou à quelque visiteur, qui ne percevait pas toujours l'ironie de certains propos, il faudrait croire que, en-dehors de la musique d'église, il n'aurait aimé que ce qu'il appelait la "musique gaie". Les rapports de Goethe avec la musique sont assez mystérieux, car il a gardé le secret, le plus souvent, sur ce qui l'émouvait le plus, et il répugne à l'impudeur romantique qui étale ses sentiments. La musique, à l'exception de quelques poèmes - en particulier le joyeux et pathétique A la Musique, [video ici] tant aimé des compositeurs de lieder (le plus beau et le plus goethéen est celui de Schubert)-, tient peu de place dans son oeuvre [...]
------> vertu de tempérance [#] - vertu de prudence [#

Les raisons pour lesquelles Goethe interdisait à la musique de prendre trop d'empire sur lui, n'étaient pas inaptitude à l'harmonie, ou insensibilité, mais, tout au contraire, volonté résolue à ne pas se laisser entamer par une puissance étrangère, à laquelle il n'était que trop disposé à se soumettre, par son caractère même et son inclination; obligé de réagir contre cette inclination, il se cuirassa contre l'influence qu'il soupçonnait capable de le détruire, ou, du moins, de l'entamer gravement, et, par-dessus tout, d'ébranler son équilibre, obtenu et maintenu toujours à grand effort et au prix de renonciations pénibles.
------> cuirasse de reine [#

Il opposait à son romantisme inné - et afin de faire contrepoids à ce romantisme - un entêtement tyrannique à garder toujours l'entier contrôle de ses sentiments et de ses émotions, à ne jamais s'abandonner, sinon avec son entier consentement et à la condition de pouvoir toujours se reprendre quand il le sentirait nécessaire. L'inévitable abandon à la musique, fatal chez un être qui se livre à elle, aurait désagrégé tou cet édifice de mesure, de réserve, de sagesse, de raison, d'équilibre, au sens le plus fort et le plus noble, perpétuellement attaqué par les passions dont il a été agité toute sa vie durant. Son refus de la musique romantique, que ses biographes ont exagéré d'ailleurs, ou faussement interprété, son détachement à l'égard des compositeurs qui auraient dû être les plus proches de son coeur et qui lui avaient voué une admiration fervente, Schubert, Beethoven, étonnent de la part d'un homme accessible à tout ce qu'il y avait de grand et de beau. Les motifs de cette apparente aversion pour les musiciens romantiques sont les mêmes que ceux qui lui font fermer la porte et, croirait-on, son coeur, aux poètes romantiques aussi; le sentiment qui le pousse à se retirer dans cette coquille de prudence weimarienne, c'est, en réalité, la peur.

Peur de remettre en question la paix de l'esprit, des sens et du coeur, sans cesse agressée de l'extérieur, et qu'il sent, à l'intérieur, infiniment précaire. Sa sensibilité extrême, beaucoup plus qu'une soit-disante insensibilité, met en action tous les moyens de défense. Il ne veut pas se laisser emporter dans le torrent de la passion; pareil au nageur qui remonte énergiquement et vigoureusement le courant, il lutte sans répit contre sa nature romantique qui le pousse à s'éprendre à soixante-douze ans d'une jeune fille de dix-sept, d'espérer l'épouser, et, éconduit, lui fait écrire cette Elégie de Marienbad qui est un des plus beaux poèmes romantiques. (texte allemand ici)
------> traduction du poème de Goethe [#]
------> autres poèmes d'amour [#

C14013Atelier de Mantegna : Triomphe de César 
soldats portant des trophées, 1485-1490
coll. Rosenwald, 
National Gallery of Art, Washington DC

 

Tout ce qui peut paraître une faiblesse de la part d'un homme aussi fort, aussi maître de lui, nous émeut comme une nouvelle preuve d'humanité chez ce poète que l'on a dit à tort inhumain. J'ai dit ailleurs comment cette humanité frémissante, si vulnérable, prête à tout instant à la souffrance et à la joie, s'offrait littéralement à toutes les émotions et toutes les passions, n'en refusant aucune, mais attentif, cependant, à les contrôler, à les dominer et à les conduire de telle sorte que sa vie fût enrichie mais non entamée. Les véritables "derniers mots" de Goethe ne sont pas l'officiel et discutable "Plus de lumière", mais la touchante supplication adressée à sa belle-fille Ottilie, qui allait retirer sa main d'entre les siennes, le croyant déjà mort : "Laisse-moi encore un instant ta chère petite patte..." Parce qu'il était plus que quiconque à la merci des émotions, il ne laissait arriver jusqu'à lui que celles qu'il était sûr de maîtriser et de vaincre. La toute-puissance de la musique l'effrayait justement par ce qu'elle a d'irrésistible et il s'en éloignait comme d'un poison trop savoureux.

Dans sa jeunesse, pourtant, il avait joué du violoncelle et du clavecin, mais il avait renoncé à être musicien - je veux dire exécutant - ainsi qu'il avait renoncé à être peintre, parce qu'il n'admettait pas qu'on pût exercer un art sans y exceller, et il était avant tout un poète [...] qui avait le culte de la perfection. Il s'éloigna donc de la musique d'autant plus qu'il ne la pratiquait pas et que le rôle passif de l'auditeur ne pouvait pas le contenter. Zelter, son Hofmusiker, ne laissait parvenir jusqu'à lui que cette musique classique qu'il aimait lui-même et qu'il jugeait devoir être aimée par Goethe, et cette musique gaie, c'est-à-dire nette, limpide, sans clair-obscur, classique, où les passions sont filtrées par le "style".

------> suite [#] 

[fin de citation]//////////////////////////////////////////////////////////////////////
Même ouvrage, autres extraits : [#
Littérature française : Marcel BRION, de l'Académie [#][#] - Jacques LANZMANN [#] - Paul GUTH [#]

 

L  I  E  N  S

 

L'AUTEUR DU TEXTE : Marcel BRION (1895-1984) 
http://www.academie-francaise.fr/les-immortels/marcel-brion

http://www.cnrtl.fr/lexicographie/cuirasse

ECRIVAINS CITES :

Johann Wolfgang von GOETHE (1749-1832) :
http://www.larousse.fr/encyclopedie/litterature/Goethe/171823
Elégie de Marienbad : http://www.handmann.phantasus.de/g_marienbader_elegie.html
http://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Poesie-Gallimard/Elegie-de-Marienbad-et-autres-poemes
Amies de Goethe : http://ww.goethezeitportal.de/wissen/illustrationen/johann-wolfgang-von-goethe/goethes-freundinnen-in-12-historischen-bildnissen.html
Conversations avec Eckermann : http://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Du-monde-entier/Conversations-de-Goethe-avec-Eckermann
SHAKESPEARE : http://www.larousse.fr/encyclopedie/personnage/William_Shakespeare/144080
Le Marchand de Venise, de Shakespeare : https://fr.wikipedia.org/wiki/Le_Marchand_de_Venise
Carl-Friedrich ZELTER (1758-1832) compositeur prussien, ami et confident de Goethe :
http://www.universalis.fr/encyclopedie/carl-friedrich-zelter/
http://www.symphozik.info/carl_friedrich+zelter,156.html
STENDHAL : https://www.etudes-litteraires.com/stendhal.php

MUSICIENS CITES :
Ludwig van BEETHOVEN (Bonn 1770 - Vienne 1827) :
http://www.larousse.fr/encyclopedie/personnage/Ludwig_van_Beethoven/108152 
https://www.francemusique.fr/personne/ludwig-van-beethoven
La Sonate à Kreutzer : 
https://fr.wikipedia.org/wiki/Sonate_pour_violon_et_piano_n%C2%BA_9_de_Beethoven
SCHUBERT : https://www.francemusique.fr/personne/franz-schubert

"An die Musik" (sur le poème de Goethe) : 

VIDEOS :
Sonate à Kreutzer (video) : https://www.youtube.com/watch?v=8uPGz7NU-mk
An die Musik (video) : https://www.youtube.com/watch?v=lcr1LUAYXYY

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