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\\\\\\\\ Le . monde . des . tarots . anciens
10 février 2016

Tavernes parisiennes au XVe s.

Avec ses deux pots de vin, le personnage des cartes XIV Tempérance pourrait figurer dans une taverne médiévale, n'étaient les ailes d'ange ...

Carte XIV TEMPERANCE [#]

Jean FAVIER : Le Bourgeois de Paris au Moyen Age, Texto coll. "Le Goût de l'Histoire", 2015
(c) Editions Taillandier  2012 et 2015, ISBN 979-10-210-0847-2
[Extrait pp. 286 sq.] //////////////////////////////////////////////////////////////////

Afficher l'image d'origine"Tacuinum Sanitatis" (BnF)
illustré en Lombardie ca 1395

Auberges et tavernes sont à la longue deux métiers voisins, et leurs patrons se retrouvent en 1467 dans une même bannière, mais les activités sont bien différentes. [...] A pied ou à cheval, on loge à l'auberge et on y prend son repas. Le métier des aubegistes est donc étroitement dépendant de la fréquentation de Paris par les forains. En temps normal, ces clients sont des provinciaux venus pour afffaires, voire pour un procès. Si la haute aristocratie loge l'hôtel d'un parent ou allié, la petite noblesse se trouve bien de l'auberge. De moins aisés, compagnons ou écoliers, s'accommodent d'une botte de paille dans la salle commune. Les uns sont là à la nuit, les autres à l'année.

La taverne, au contraire, est un établissement où l'on boit, où l'on ne mange pas, où l'on se réchauffe à l'occasion et qui ferme la nuit. Bien qu'une ordonnance de 1350 ait interdit aux taverniers de recevoir des clients après qu'on a entendu le couvre-feu sonné à Notre-Dame, c'est en fait le guet qui passe pour assurer les expulsions et les fermetures. Tout montre que l'on triche à volonté avec le couvre-feu, que bien des taverniers ont à l'étage une chambre à louer et que certains ont à offrir une place d'écurie. Pour la plupart, les clients de la taverne sont parisiens, et rares y sont les femmes seules. C'est seulement dans les temps troublés où Paris devient ville de garnison que la taverne parisienne accueille une clientèle bien particulière, celle des soldats. Ils foisonnent après 1356 comme après 1420.

Dans les années 1200 encore, la taverne, c'est la boutique où l'habitant du quartier va, pot en main, acheter son vin. Les sergents fermant les yeux, l'habitude est prise de consommer sur place, debout. Très vite, et malgré l'ordonnance de saint Louis qui, en 1254, réserve aux seuls étrangers de passage - on pense aux marchands - et censés fatigués le droit de s'asseoir, on s'assied, ce qui est dire que l'on prolonge le séjour et une consommation que le tavernier sait entretenir en fournissant bancs et tables. Bien des Parisiens vont à la taverne avec leur pot et vident celui-ci en famille ou avec des amis. Mireille Vincent-Cassy [*] parle très justement de "plaisirs partagés", la taverne étant en premier lieu, pour ceux qui n'ont pas un chez-eux permettant de recevoir, le cadre normal et quasi quotidien de la conversation. Le grand bourgeois n'y vient guère, le petit boutiquier ou l'artisan y fréquente et y donne éventuellement rendez-vous, le compagnon y a ses assises. Même s'il a la chance d'appartenir à un collège, l'écolier n'a d'autre lieu de rencontre sociale.

carte Tempérance du feuillet Rosenwald, Florence ca 1500
(Washington, National Gallery)

 

Cela dit, on y boit.

L'essentiel du métier de tavernier est donc très vite d'abreuver le consommateur à la taverne même. On ne vend pas de nourriture, mais rien n'interdit d'apporter sa saucisse. Les règlements qui veillent à distinguer la taverne de l'auberge font une exception  : le tavernier a le droit de servir ce qui donne soif. Le hareng salé, le petit fromage et la tête d'oignon viennent en tête de ce qu'on propose avec le pot de vin, mais on sert aussi la saucisse et l'andouille, voire les tripes. La taverne n'est donc plus un négoce où l'on s'approvisionne. C'est un lieu où l'on s'installe à l'aise, où l'on rencontre des amis, où l'on s'amuse. On peut y préparer les mauvais coups. La fréquentation de la taverne tient pour une bonne part à l'étroitesse des logis personnels ou familiaux. On le voit bien quand, désireux de régaler ses amis, un bourgeois et sa compagnie arrivent avec des pâtés encore chauds et des volailles encore embrochées. Encore voit-on le client passer d'abord parfois aux Halles et demander au tavernier de glisser sous la braise une pièce de viande ou de cuireun poisson. Les ordonnances sont respectées : le tavernier ne vend que son vin. La taverne ne répond pas moins au besoin qu'ont les hommes d'échapper à la surveillance, voire à l'autorité, de leur femme. La littérature comique use volontiers de cette fonction de refuge. Les deux raisons se recoupent si, dans un logis trop étroit, l'épouse fait mauvais accueil aux amis de son mari. C'est dire que la taverne est lieu de convivialité pour les hommes mariés comme pour les célibataires.

-----> comment duper le tavernier avec deux pots de vin [#]

A la taverne, on joue.

Les jeux sont innombrables, et la mode en varie. Le plus répandu, parce qu'il ne suppose aucune infrastructure, c'est évidemment celui de dés, auquel s'adonnent aussi bien les princes et les grands bourgeois en leurs hôtels. On joue aussi aux osselets et aux cartes. Mais ce n'est pasà la taverne que l'on joue aux échecs, ce jeu aristocratique qui évoque l'amour courtois et ses règles pour la conquête de la Dame. Le jeu accompagne la boisson, il alimente la conversation, il prolonge le séjour. Il fait naître l'espoir d'un gain. L'usage est de mettre ainsi en jeu ce qu'il faudra payer avant de partir. Dans le quartier de l'Université et autour des Halles - donc pour des clientèles fort différentes -, certaines tavernes prennent ouvertement, à la fin du XVe siècle, les apparences d'une maison de jeux. [...]
------> les jeux de hasard au Moyen Age [#][#]
------> le jeu d'échecs [#][#]

Les livres de la taille du temps de Philippe le Bel citent 24 aubergistes ou hôteliers et 86 taverniers. Ces chiffres n'ont ensuite cessé de grossir. Certes, les 4000 tavernes évoquées pour l'aube du XVe siècle par Guillebert de Metz sont aussi invraisemblables que tous les autres chiffres qu'il avance en 1434 pour en faire gloire à la capitale de Charles VI. Evoquant le vin que l'on achète à prix modéré dans l'été de 1414, le Bourgeois de Paris précise qu'on le trouve "en cent lieux à Paris". En une année 1421 où il est certain que la ville a perdu la moitié de sa population, le rôle d'impôt pour la rive gauche et une moitié de la rive droite qui ne comprend pas les quartiers voisins des Halles fait connaître 19 aubergistes et 60 taverniers. En 1457, alors que Paris continue de renaître mais n'a pas encore atteint son niveau d'avant la guerre, le compte de celleriage fait état de 200 taverniers de métier, et d'une centaine d'occasionnels. [...] Les tavernes se trouvent moins nombreuses dans le voisinage des résidences royales. Les plus nombreuses et les plus fréquentées sont en 1457 au long des grandes rues méridiennes, sur la rive gauche la rue Saint-Jacques et la rue de la Harpe, sur la rive droite les rues Saint-Denis et Saint-Martin, ainsi que dans le lacis de petites rues qui relie la porte Saint-Honoré au quartier Saint-Paul en passant par les Halles et la Grève. Bref, la taverne a ses habitués, mais elle profite du passage. La réputation d'une taverne tient au vin qu'on y vend, au crédit qu'on y consent, aux gens que l'on s'attend à y rencontrer. Il est de fameuses enseignes, comme en Grève le Heaume et le Grand Godet, sans oublier, derrière la Maison aux Piliers, la Châsse du notable qu'est Arnoul Turgis cependant que Robin Turgis tient en la Juiverie de la Cité la Pomme de Pin. Le tenancier d'une taverne de haute réputation est souvent appelé du nom de son enseigne, et l'on dit alors "le seigneur du Mouton" ou "le maître de l'Image Saint Nicolas".
-----> miniature médiévale (XVe s.) montrant la Maison aux Piliers [#]

La qualité du vin, donc le prix, varie de taverne à taverne. Pour l'essentiel, la taverne est approvisionnée en vin du pourtour parisien. Mais le tavernier doit se méfier des fraudes : le mauvais vin fait fuir la clientèle. Mireille Vincent-Cassy a cité d'étonnantes dégustations, comme cet apprentissage de l'art de goûter le vin dont, en une farce de 1380, une chambrière fait bénéficier un aveugle. Le Parisien sait très bien qu'il faut garder le vin en bouche, et non déglutir avec précipitation. Quant aux autres boissons fortes, la cervoise et le cidre, on en fait peu de cas. [...] La taverne accueille les saute-ruisseau, les sergents et les clercs de notaire, mais on n'y rencontre ni avocats ni magistrats. Les soldats y ont normalement leurs assises, non les chevaliers. Si les maîtres n'ont cure d'y mettre le pied, les écoliers y ont leur pratique quand ils ont quelques deniers. Léguant à un procureur ses braies "étant aux Trumelières", Villon nous rappelle, avec le nom de cette taverne proche des Halles, Au désargenté, que le buveur désargenté qui veut éviter la grivèlerie n'a pas d'autre choix que de laisser en gage son vêtement. [...]
-----> François Villon : sa vie [#] - une chanson qui lui est attribuée[#]

 

GluttonyLe péché de gloutonnerie (scène de taverne), illustration du Codex Cochiarelli
Gênes ca 1330-1340

(British Library Add. 27695 folio)

Le tavernier est connu, et on le tient pour bourgeois. Si l'on excepte ceux qui font crédit, il en est peu qui soient considérés. On n'en voit pas à la Maison des Piliers. Les prostituées publiques sont rares à la taverne. Ce n'est pas leur place, et le tavernier ne tient pas à passer pour bordelier. Mais les filles faciles y fréquentent assidûment et les servantes sont d'autant plus faciles qu'elles n'ont que rarement des attaches à Paris et qu'elles peuvent trouver dans le même temps quelque plaisir et un peu d'argent. Il en résulte des maternités non désirées. Quand Villon se promet de consacrer son modeste avoir "tout aux tavernes et aux filles", il établit un parallèle significatif. L'image de la taverne ne saurait être reluisante dans l'esprit du bourgeois bien établi. On l'aura compris, la taverne est souvent mal famée. [...]

Il n'est pas certain que le tavernier voit d'un bon oeil le bourgeois ou l'écolier, voire le collège ou le prieuré, qui vend "à taverne" le surplus de vin de sa vigne qu'il a fait venir pour sa consommation. Pour occasionnels que soient ces débits de boissons à emporter, ils causent aux professionnels un réel préjudice [...] En certains cas, l'abus est évident, comme lorsqu'un écolier fait ainsi venir en franchise "pour sa provision"  six queues de vin, soit 24 hectolitres [...] L'essentiel est que soient respectées les formes et les apparences : ni le vin ni l'acheteur ne doivent franchir l'huis du vendeur. La vente se fait "huis coupé et pot renversé". En clair, l'écolier ou le bourgeois n'est pas marchand de vins. En fait, si le bourgeois n'hésite pas à placer un étal devant sa porte pour vendre "à taverne", la vente ne se fait évidemment pas devant la porte du collège. On vend donc "à taverne" mais à l'Etape - les Halles, puis la Grève - et même, malgré le paradoxe, en taverne. [...]

Celui qui vend à taverne n'est pas un tavernier. Plus rare est le cas de celui qui profite de ce que le métier n'est pas encadré pour s'y faire une place. Il y suffit de l'accord du prévôt des marchands, comme pour quiconque s'installe à Paris. Ainsi fait cet écuyer qui, peut-être poussé par la nécessité en un temps passablement troublé, comparaît en mars 1417 en la Maison des Piliers.

"Elyot de la Fillolye, écuyer, depuis huit ans ou environ, a été serviteur de feu monseigneur le duc de Berry, lequel il a servi comme son écuyer tranchant depuis ledit temps et jusques à neuf mois a ou environ que il s'est marié en cette ville de Paris où lui et sa femme sont demeurants, c'est assavoir en la Rue du Fossé Saint Germain en l'hôtel où pend pour enseigne l'Image Saint Martin, auquel hôtel il a propos et entention de faire taverne et vendre vin à détail pour la sustentation de lui, de sadite femme et de ses gens, ce qu'il n'oseroit bonnement faire sans avoir sur ce congé."

La haute bourgeoisie ne fréquente guère la taverne. Lorsqu'on doit recevoir plus de monde que ne le permet le domicile, on loue un hôtel bourgeois avec sa vaisselle et son service. Le Ménagier de Paris indique à la fois une adresse et un tarif. Pour ses noces, Jean Duchesne a loué l'hôtel de Beauvais. Il lui en a coûté 4 francs pour l'hôtel, 5 francs pour les tables, tréteaux, escabeaux et autres meubles, ce qui n'est rien au regard des 15 francs qu'il a dépensés pour la "chapellerie", autrement dit les couronnes de fleurs que portèrent les invités. Tout cela ne dispense pas de payer le cuisinier et ses aides, les musiciens et les acrobates, le concierge et les maîtres d'hôtel en charge de "faire lever et placer les convives". On est loin des repues de noces à la taverne.


[*] Mireille VINCENT-CASSY : "Les Habitués des tavernes parisiennes à la fin du Moyen Age ou les plaisirs partagés", dans "Etre Parisien  (Paris et Ile-de-France, Mémoires, tome 55), Claude GAUVARD et Jean-Louis ROBERT(dir.), Paris 2004, pp. 231-250

[fin de citation]//////////////////////////////////////////////////////////////////////
Même auteur, même ouvrage :
Métiers (1) Apprentis & Valets [#] - Métiers (2) Valets & maîtrise [#]- Le coup des deux pots de vin (carte XIV Tempérance) [#] - Tout sur le pendu médiéval (carte XII Le Pendu) [#] - Les Quatre animaux (carte XXI) [#]
extrait d'un autre ouvrage :
Le Roi se meurt avec l'ermite à ses côtés (carte IX) [#]

 

 L  I  E  N  S

L'AUTEUR DU TEXTE :
Jean FAVIER (1932-2014), médiéviste, Académie des Inscriptions et Belles-Lettres
http://www.aibl.fr/membres/academiciens-depuis-1663/article/favier-jean

PERSONNAGES CITES :
le guet : http://www.cnrtl.fr/definition/guet
https://fr.wikipedia.org/wiki/Guet_royal
GUILLEBERT DE METZ (actif 1415-1460) copiste et écrivain : www.arlima.net/eh/guillebert_de_mets.html
son manuscrit de la description de Paris (BnF) :
https://books.google.be/books/about/Description_de_la_ville_de_Paris_au_XVe.html?hl=nl&id=sRsJAAAAQAAJ
François VILLON poète : www.alalettre.com/villon.php
Mireille VINCENT-CASSY médiéviste spécialiste des laïcs au Moyen-Age :
http://biblio.shmesp.fr/index.php?q=auteur:%28Mireille+Vincent-Cassy%29&limite=20

LIEUX CITES :
Maison aux Piliers : http://classes.bnf.fr/ema/anthologie/paris/10.htm
tavernes (images médiévales) : http://www.musee-virtuel-vin.fr/Pages/VinetenluminureCompagnondetouslesinstants.aspx

 

 

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