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\\\\\\\\ Le . monde . des . tarots . anciens
3 juillet 2017

Ambition et éternité (Bossuet)

La deuxième partie du Sermon sur l'ambition de Bossuet (Dijon 1627 - Paris 1704) présente un double avantage : offrir une illustration des aléas de la fortune - dans une langue inégalée -, et commenter la parabole de l'arbre dans l'Ancien Testament au livre d'Ezechiel.

 

Carte X ROVE DE FORTVNE [#]
Carte XVII L'Etoile [#]

Jacques Bégnine BOSSUET : Sermon sur l'Ambition, Ed. Mille et Une Nuits, 1998
[extrait pp. 22 sq]/////////////////////////////////////////////////////////////////////

bossuet-drevet-gravureSecond Point :

La fortune, trompeuse en toute autre chose, est du moins sincère en ceci, qu'elle ne nous cache pas ses tromperies; au contraire, elle les étale dans le plus grand jour, et, outre des légèretés ordinaires, elle se plaît de temps en temps d'étonner le monde par des coups d'une surprise terrible, comme pour rappeler toute sa force en la mémoire des hommes, et de peur qu'ils oublient jamais ses inconstances, sa malignité, ses bizarreries. C'est ce qui m'a fait souvent penser que toutes les complaisances de la fortune ne sont pas des faveurs, mais des trahisons; qu'elle ne nous donne que pour avoir prise sur nous, et que les biens que nous recevons de sa main ne sont pas tant des présents qu'elle nous fait que des gages que nous lui donnons pour être éternellement ses captifs, assujettis aux retours fâcheux de sa dure et malicieuse puissance.


Pierre Imbert DREVET (Paris 1697- Paris 1739)
Bossuet, gravure (1723) d'après Rigaud

 
Cette vérité, établie sur tant d'expériences convaincantes, devrait détromper les ambitieux de tous les biens de la terre; et c'est au contraire ce qui les engage. Car, au lieu d'aller vers un bien solide et éternel, sur lequel le hasard ne domine pas, et de mépriser par cette vue la fortune toujours changeante, la persuasion de son inconstance fait qu'on se donne tout à fait à elle, pour trouver des appuis contre elle-même. Car écoutez parler ce politique habile et entendu. La fortune l'a élevé bien haut, et, dans cette élévation, il se moque des petits esprits qui donnent tout au-dehors, et qui se repaissent de titres et d'une belle montre de grandeur. Pour lui, il appuie sa famille sur des fondements certains, sur des charges considérables, sur des richesses immenses, qui soutiendront éternellement la fortune de sa maison. Il pense s'être affermi contre toute sorte d'attaque. Aveugle et malavisé ! comme si ces soutiens magnifiques, qu'il cherche contre la puissance de la fortune, n'étaient pas encore de sa dépendance !

C'est trop parler de la fortune dans la chaire de la vérité. Ecoute, homme sage, homme prévoyant, qui étends si loin aux siècles futurs les précautions de ta prudence : c'est Dieu même qui te va parler et qui va confondre tes vaines pensées par la bouche de son prophète Ezéchiel (31, 3 sq.) : "Assur, dit ce saint prophète, s'est élevé comme un grand arbre, comme les cèdres du Liban : le ciel l'a nourri de sa rosée, la terre l'a engraissé de sa substance; (les puissances l'ont comblé de leurs bienfaits, et il suçait de son côté le sang du peuple.) C'est pourquoi il s'est élevé, superbe en sa hauteur, beau en sa verdure, étendu en ses branches, fertile en ses rejetons. Les oiseaux faisaient leurs nids sur ses branches (les familles de ses domestiques); les peuples se mettaient à couvert sous son ombre (un grand nombre de créatures, et les grands et les petits étaient attachés à sa fortune). Ni les cèdres ni les pins (c'est-à-dire les plus grands de la cour) ne l'égalaient pas : Abietes non adaequaverunt summitatem ejus...; oemulata sunt eum omnia ligna,voluptatis quae erant in paradiso Dei). Autant que ce grand arbre s'était poussé en haut, autant semblait-il avoir jeté en bas de fortes et profondes racines.
------> symbole de l'arbre [#

Voilà une grande fortune, un siècle n'en voit pas beaucoup de semblables; mais voyez sa ruine et sa décadence : "Parce qu'il s'est élevé superbement, et qu'il a porté son faîte jusqu'aux nues, et que son coeur s'est enflé dans sa hauteur, pour cela, dit le Seigneur, je le couperai par la racine, je l'abattrai d'un grand coup et le porterai par terre"; (il viendra une disgrâce, et il ne pourra plus se soutenir). "Ceux qui se reposaient sous son ombre se retireront de lui", de peur d'être accablés de sa ruine. Il tombera d'une grande chute; on le verra de tout son long couché sur la montagne, fardeau inutile de la terre : Projicient eum super montes (Ezéchiel, 31, 12). Ou, s'il se soutient durant sa vie, il mourra au milieu de ses grands desseins, et laissera à des mineurs des affaires embrouillées qui ruineront sa famille; ou Dieu frappera son fils unique, et le fruit de son travail passera en des mains étrangères; ou Dieu lui fera succéder un dissipateur, qui, se trouvant tout d'un coup dans de si grands biens, dont l'amas ne lui a coûté aucune peine, se jouera des sueurs d'un homme insensé qui se sera perdu pour le laisser riche; et devant la troisième génération, le mauvais ménage et les dettes auront consumé tous ses héritages. "Les branches de ce grand arbre se verront rompues dans toutes ses vallées" : je veux dire, ces terres et ces seigneuries qu'il avait ramassées comme une province, avec tant de soin et de travail, se partageront entre plusieurs mains; et tous ceux qui verront ce grand changement diront en levant les épaules et regardant avec étonnement les restes de cette fortune ruinée : Est-ce là que devait aboutir toute cette grandeur formidable au monde ? Est-ce là ce grand arbre dont l'ombre couvrait toute la terre ? Il n'en reste plus qu'un tronc inutile. Est-ce là le fleuve impétueux qui semblait devoir inonder toute la terre ? Je n'aperçois plus qu'un peu d'écume.
------> vicissitudes du sort au XVe siècle [#]

Ô homme, que penses-tu faire, et pourquoi te travailles-tu vainement? - Mais je saurai bien m'affermir et profiter de l'exemple des autres : j'étudierai le défaut de leur politique et le faible de leur conduite, et c'est là que j'apporterai le remède - [...] Ô homme, ne te trompe pas : l'avenir a des événements trop bizarres, et les pertes et les ruines entrent par trop d'endroits dans la fortune des hommes, pour pouvoir être arrêtées de toutes parts. Tu arrêtes cette eau d'un côté, elle pénètre de l'autre; elle bouillonne même par-dessous la terre. - Mais je jouirai de mon travail. - Eh quoi! pour dix ans de vie ! - Mais je regarde ma postérité et mon nom. - Mais peut-être que ta postérité n'en jouira pas. - Mais peut-être aussi qu'elle en jouira. - Et tant de sueurs, et tant de travaux, et tant de crimes, et tant d'injustices, sans pouvoir arracher jamais de la fortune, à laquelle tu te dévoues, qu'un misérable peut-être ! Regarde qu'il n'y a rien d'assuré pour toi, non pas même un tombeau pour graver dessus tes titres superbes, seuls restes de ta grandeur abattue : l'avarice ou la négligence de tes héritiers le refuseront peut-être à ta mémoire, tant on pensera peu à toi quelques années après ta mort ! [...] ô les belles suites de ta fortune ! 


Ô folie ! ô illusion, ô étrange aveuglement des enfants des hommes ! Chrétiens, méditez ces choses; Chrétiens, qui que vous soyez, qui croyez vous affermir sur la terre, servez-vous de cette pensée pour chercher le solide et la consistance. Oui, l'homme doit s'affermir; il ne doit pas borner ses desseins dans des limites si resserrées que celles de cette vie : qu'il pense hardiment à l'éternité. En effet, il tâche, autant qu'il le peut, que le fruit de son travail n'ait point de fin; il ne peut pas toujours vivre, mais il souhaite que son ouvrage subsiste toujours : son ouvrage, c'est sa fortune, qu'il tâche, autant qu'il est possible, de faire voir aux siècles futurs telle qu'il l'a faite. Il y a dans l'esprit de l'homme un désir avide de l'éternité : si on le sait appliquer, c'est notre salut.

Mais voici l'erreur : c'est que l'homme s'attache à ce qu'il aime; s'il aime les biens périssables, il y médite quelque chose d'éternel [...] Ô homme, désabuse-toi : si tu aimes l'éternité, cherche-la donc en elle-même, et ne crois pas pouvoir appliquer sa consistance inébranlable à cette eau qui passe et à ce sable mouvant. Ô éternité, tu n'es qu'en Dieu; mais plutôt, ô éternité, tu es Dieu même ! c'est là que je veux chercher mon appui, mon établissement, ma fortune, mon repos assuré, et en cette vie et en l'autre. Amen."

[fin de citation]//////////////////////////////////////////////////////////////////////
Autre citation de Bossuet dans le blog :  Oraison funèbre d'une abbesse [#
Autres textes littéraires classiques cités dans le blog :
Anonymes XIIe s. [#] et XIIIe s. [#- Jacquemard GIELEE (°1240) [#] - Eustache DESCHAMPS (1346-1406/7) [#] - François VILLON (1431?-1480?) [#] 
-  Joachim DU BELLAY (1522-1560) [#] - Agrippa d'AUBIGNE (1552-1630) [#] - VOLTAIRE (1694-1778) [#] - Ernst WIECHERT (1887-1950)  [#][#][#][#]  - Marcel BRION, de l'Académie Française (1895-1984) [#][#] 

 

L  I  E  N  S 

 

L'AUTEUR DE L'EXTRAIT : Jacques-Bénigne BOSSUET (1627-1704), évêque de Meaux,
membre de l'Académie Française, prédicateur célèbre
biographie et oeuvres (en français) :
www.academie-francaise.fr/immortels/base/academiciens/fiche.asp?param=84
http://analyses-litteraires.com/analyses/viewtopic.php?f=364&t=2284&start=0&st=0&sk=t&sd=a&sid=b8d5527dbb5d40ceba9a101bd62f1961&view=print
http://salon-litteraire.linternaute.com/fr/jacques-benigne-bossuet/content/1815951-bossuet-biographie
(biographie et analyse de l'oeuvre, en anglais)
http://www.newadvent.org/cathen/02698b.htm
Oraisons Funèbres :

www.devoir-de-philosophie.com/dissertation-bossuet-oraisons-funebres-fiche-lecture-63220.html
Sermon sur l'Ambition :
http://www.libertepolitique.com/Actualite/Fatima-chronique-hebdo/Lecture-d-ete-Bossuet-sur-l-ambition
livre audio : http://www.litteratureaudio.com/livre-audio-gratuit-mp3/bossuet-jacques-benigne-sermon-sur-lambition.html


FAITS & CONCEPTS CITES :
fortune : http://www.cnrtl.fr/definition/Fortune
notion de sermon : http://www.cnrtl.fr/definition/sermon
Livre d'Ezechiel : https://www.aelf.org/bible/Ez/1
le salut : http://www.newadvent.org/cathen/13407a.htm

 

ILLUSTRATIONS :
gravure de Pierre Imbert DREVET (1697-1739) :
https://fr.wikipedia.org/wiki/Pierre_Imbert_Drevet
http://brunodumes.pagesperso-orange.fr/bossuet-gravure.html

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